Suite de la Première Partie
Subhânanda: Le concept de la soumission au maître spirituel est, bien sûr, profondément enraciné dans les traditions spirituelles de l’Orient. Toutefois, l’Occident éprouve une grande méfiance à l’égard de la notion même du guru, de l’autorité à qui on s’en remet pour être guidé dans la spiritualité. La réaction typique en Occident sera de considérer une telle soumission comme un genre d’abandon de la pensée critique et rationnelle et de l’autonomie personnelle. Comment se fait-il alors que les jeunes disciples de Srîla Prabhupâda peuvent transcender l’apppréhension qu’éprouvent les Occidentaux envers les autorités spirituelles absolues, pour l’accepter comme maître spirituel?
Dr. Hopkins: J’estime que c’est partiellement dû au fait que la crainte de se soumettre à une autorité ne correspond pas vraiment à une appréhension envers ce principe même. Il s’agit plutôt de la peur de se faire avoir, de s’en remettre à une autorité perfide ou imparfaite. Les 3 principales traditions religieuses d’Amérique accordent une certaine importance à la notion de l’autorité. La tradition catholique implique la soumission à l’autorité ultime du pape et à l’autorité immédiate du prêtre. Le juif, lui, s’en remet à la Loi et au rabbin qui l’interprète et parle en son nom. L’hassidisme appelle la soumission au rabbi, vénérable autorité spirituelle, cela ne fait aucun doute. Il possède l’autorité et impose la discipline. Dans la tradition protestante, on retrouve la soumission à la Parole de Dieu: la Bible. La notion de soumission n’est donc pas absente dans la tradition religieuse occidentale.
Selon moi, la plupart des jeunes de la contre-culture se révoltent contre le fait que les autorités les ont déçus, car elles ne remplissent pas leur devoir, pour ainsi dire. Leurs parents leur enseignent une chose et font le contaire; le gouvernement en fait autant; Tous les principes de la démocratie sont brisés au sein de la société américaine. Les américains redoutent particulièrement de se faire avoir. Or, quand vous réalisez que toutes les figures d’autorité que vous avez connues vous ont dupé, vous commencez à douter du concept même de l’autorité.
Cependant, quoique plusieurs jeunes de la contre-culture croient peut-être rejeter le principe même de l’autorité, en réalité, c’est la fausse autorité, l’autorité imparfaite qu’ils refusent. Lorsqu’ils découvrent enfin quelqu’un possédant un certain ascendant et en qui on peut placer toute sa confiance, leur attitude change. Srîla Prabhupâda ne commet jamais l’erreur de les prendre au sérieux; il ne tient jamais compte de ces propos. Il voit toujours ce dont les gens ont vraiment besoin et il s’en tient à ça.
Subhânanda: A l’inverse de Srîla Prabhupâda la plupart de ceux venus jouer en Occident le rôle de guide spirituel ont exigé très peu de leurs disciples en matière de soumission, de conduite ou de discipline personnelles. Leur attitude envers la moralité individuelle de leurs disciples le plus souvent en est une de laisser-faire, qu’ils adoptent d’ailleurs eux-mêmes dans leur vie privée. Rares, par exemple, sont ceux ayant même cherché à rétablir ou imposer des règles strictes encourageant la retenue sexuelle ou l’abstinence de toute drogue, considérées importantes dans presque toutes les traditions et disciplines que ces maîtres représentent. Comment se fait-il alors que Prabhupâda est à même d’exiger et d’obtenir de la part de ses disciples un standard élevé de conduite personnelle et de discipline spirituelle?
Dr Hopkins: Je crois qu’il leur a simplement dit: »Voici un trésor unique et le secret pour l’acquérir. » Et ce qu’il offre est authentique et assez fascinant pour que les gens soient enclins à payer le prix. Plusieurs de ses disciples, ayant cherché ailleurs la spiritualité, furent déçus, particulièrement avec la forme de religion transmise par leurs parents judéo-chrétiens de nom. Quelques dévots m’ont parlé de la synagogue familiale qu’ils ont fréquentée jadis et m’ont révélé les rencontres surréalistes qu’ils eurent avec leurs rabbins. Quand ils soulevaient la question de la spiritualité, ils n’obtenaient que des regards vides et des réponses comme: « De quoi s’agit-il au juste? Vous ne trouverez rien de tel ici. » Ils avaient donc l’impression de ne pouvoir en tirer grand-chose. Par conséquent, lorsqu’ils rencontrent enfin quelqu’un qui leur offre une spiritualité tangible, ils se montrent disposés à payer le prix pour la recevoir. Pour la majorité, pour ceux qui sont sérieux, le prix s’avère abordable.
Il y aura probablement toujours beaucoup de disciples marginaux, pour ainsi dire, des amis du Mouvement et des participants intéressés qui, pour quelque raison, en seront jamais prêts à devenir disciples à part entière. Plusieurs ne pourront jamais remplir toutes les conditions. Mais tous ceux que j’ai rencontrés les apprécient et considèrent le problème non en fonction des conditions requises, mais plutôt de leur impuissance à les remplir.
Subhânanda: Gardez-vous un souvenir précis des rapports échangés entre Srîla Prabhupâda et ses disciples , et que vos nombreuses visites au temple de New York à ses débuts vous ont permis d’observer? Quel élément vous a plus spécialement frappé?
Dr. Hopkins: Ce dont je me souviens et qui ne cesse de m’étonner, c’est la confiance totale avec laquelle Prabhupâda engage les gens. Prenons à titre d’exemple son disciple Brahmânanda qui reçoit l’instruction suivante: « Fonde un magazine et une maison d’édition », et qui répond: « Je n’y connais rien ». Prabhupâda lui dit alors: « Renseigne-toi et Krishna t’aidera ». Ce genre d’échanges se répète à maintes reprises et avec plusieurs disciples. Il éveille un sentiment de confiance dans le coeur des gens car il est lui-même animé d’une confiance et d’une conviction absolues. Il ne doute aucunement qu’ils soient à même de s’acquitter de la tâche qu’il leur confie. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est plus sûr d’eux qu’ils ne le sont eux-mêmes.
Toutefois , il ne repose pas exactement sa confiance en autrui ou en lui-même, mais en Krishna. Voilà le second élément le plus frappant chez lui. Il ne prétend jamais jouir du pouvoir d’accomplir des miracles. Il ne dit jamais: « Je te conférerai le pouvoir requis pour t’acquitter de cete tâche. Je t’inspirerai afin que tu réalises de grandes merveilles », mais plutôt: « Krishna te donnera ce pouvoir; Il te guidera. » Il place sa confiance non en lui-même ou en autrui, mais en Krishna; c’est là le secret de son efficacité qui, selon moi, serait moindre s’il disait: « Tu dois avoir confiance en toi-même ». Car cela s’avère assez difficile lorsqu’on n’est pas sûr de soi. Il en aurait été de même s’il avait dit: « Aie confiance en moi », car bien que ce soit déjà mieux, ça nous dépasse encore. Mais: « Fais confiance au Seigneur de l’Univers », ça c’est une autre affaire.
Le succès de Srîla Prabhupâda en tant que chef religieux d’une institution, par opposition à un maître spirituel hors de tout contexte institutionnel, gît en grande partie dans son don d’engager les gens dans des activités religieuses pratiques, ou inversement, dans des activités pratiques visant un but spirituel. C’est un des piliers de toute la tradition bhakti. Elle n’a pas tendance à devenir transcendantale dans le sens qu’on prête le plus souvent à ce terme: une parfaite indifférence au monde et à l’action temporelle -la réclusion, l’inaction.
La Bhagavad-Gîtâ représente vraiment un monument théorique et pratique sur l’art de concilier la matérialité et la spiritualité. La tradition hindoue réussit généralement à marier l’aspiration religieuse, immatérielle, au salut, à la libération hors de ce monde, au besoin de se livrer à l’action matérielle. La Gîtâ résout donc définitivement le problème. Prabhupâda adopte cette solution théorique et la met en pratique au sien d’une institution religieuse, d’une façon que la plupart des autres mouvements ou transitons n’ont pas tentée ou réussie. D’aider d’abord les gens à découvrir leur propre nature, leurs tendances, psychologiques personnelles et leurs aptitudes naturelles, pour ensuite les employer d’une manière pratique en leur enseignant comment agir dans un esprit de dévotion à Dieu: voilà l’essence de la tradition dévotionnnelle.
Srîla Prabhupâda ne cherche jamais à interpréter l’enseignement de la Gîtâ de façon à encourager quelque religiosité intemporelle. Sa doctrine s’avère toujours pratique: on peut adorer Krishna en fondant une revue, en créant de oeuvres d’art dévotionnel, en nettoyant le temple, en cuisinant un festin qui sera ensuite offert au public ou encore, en réparant l’auto du temple. L’action accomplie dans le cadre de la dévotion à Krishna incarne l’essence même de la tradition bhakti, qui libère une énergie immense lorsqu’on franchit l’obstacle qui nous fait penser: « Comment puis-je m’acquitter de cette tâche? »
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