« Car ce monde relève bien d’une illusion, d’une illusion monstrueuse: tout y apparaît solide, réel, mais s’évapore l’instant d’après, comme l’écume dans l’océan ou le nuage dans le ciel. Le nuage aussi, dans le ciel, paraît bien tangible; il produira la pluie, permettra la naissance et la croissance de vastes jardins, mais à la fin, tout disparaît, et le nuage, et la pluie, et la végétation. » Teneur et portée de Srila Prabhupada, Srimad-Bhagavatam (1.13.29)
Une des conditions essentielles pour devenir sincèrement intéressé et motivé par le bhakti-yoga ou le service de dévotion offert à Dieu, le Seigneur Suprême, Krishna, est de cultiver le détachement vis-à-vis du monde matériel. Ce détachement est naturellement éveillé lorsque l’on prend conscience du caractère illusoire de notre existence dans ce monde matériel. Cette prise de conscience nous aide à devenir progressivement détaché et dégoûté de l’existence matérielle. Cela n’est pas aussi simple qu’il peut sembler, au premier abord, car le dégoût du bhakta ou dévot pour le monde matériel n’est pas passager mais profond. Il est engendré par une véritable réalisation et prise de conscience profondes du caractère temporaire et fugace de notre existence ici-bas.
Par exemple, bien souvent, celui qui se rend à l’enterrement d’un être cher verra l’envahir pour un temps, un profond sentiment de désenchantement et de dégoût vis à vis de cette existence matérielle et ce qu’elle représente; le caractère précaire et éphémère de nos relations avec les êtres que l’on aime. Et pendant la cérémonie mortuaire, il pourra se poser des questions d’ordre philosophique et se remettre en question, « Quelle est l’utilité de courir toute la journée dans tous les sens, uniquement dans le but de gagner sa vie et de maintenir une famille, si c’est pour finir, à la fin, dans un corbillard? », et pendant la cérémonie à l’église, en écoutant le prêtre prêcher, « Peut-être devrais-je écouter le prêtre et ouvrir plus mon coeur à la Parole de Dieu? etc.. » Mais, sitôt la cérémonie mortuaire terminée, les préoccupations du foyer et la routine du travail reprennent le dessus et les questions philosophiques sur le but de l’existence et la remise en question personnelle sont vite reléguées aux oubliettes.
Ainsi, alors que j’étais jeune adolescent et que j’habitais Epinay-sur-orge dans l’Essonne, je me rappelle d’avoir été pris d’un vif sentiment d’incompréhension et de dégoût vis à vis de l’existence à la suite de la mort de l’un de mes meilleurs amis, Jean Hugues Bénard. Je me rappelle du choc que m’a fait l’annonce de sa mort soudaine, causée par un accident de mobylette..à 16 ans. Jean Hugues était l’unique fils de la famille Bénard, au milieu de ses trois soeurs. La nouvelle de sa mort fut d’autant plus cruelle et dure à accepter qu’elle fut très soudaine. Je me souviens encore émotion de la détresse extrême de ses parents, et plus particulièrement de sa mère Huguette. Plus tard, sa mère écrivit un livre sur Jean Hugues, très émouvant et emprunt d’amour, de regret et de poésie, avec des illustrations de sa main, ,comme pour contrecarrer la brutalité et la soudaineté de la mort de son fils
C’était un bel après-midi de printemps – contrastant terriblement avec la procession mortuaire – quand nous avons accompagné avec de nombreux jeunes de notre âge le corbillard, de la résidence de ses parents jusqu’au cimetière d’Epinay. Je me rappelle face à l’horreur et à la violence de l’événement, durant la procession et plus particulièrement sur le lieu d’inhumation, d’avoir été hanté par ces pensées : « Comment peut-il avoir disparu comme ça, si brutalement! On discutait hier encore tous les deux, sur le pas de sa porte, jusque tard dans la nuit. Il était si joyeux alors, tellement plein d’entrain, la tête rempli de projets et il riait, il riait. Il était si gai de nature et voilà que maintenant la mort l’a emporté si brutalement!!! Je ne le reverrai plus, alors que l’image de son beau sourire est encore tellement présente dans mon esprit! Mais pourquoi? Comment cela est-il possible?? »
Mais, bien sûr, et comme on dit, la vie a vite reprise le dessus et j’ai rangé la mort de Jean Hugues dans un coin de ma mémoire, avec une évocation de temps en temps, ponctuée d’un soupir chargé d’un peu de regret – de moins en moins avec le temps qui passait.
C’est étonnant, d’ailleurs, la faculté qu’ont les êtres humains d’oublier tout ce qui dérange leur quiétude personnelle sans en tirer les leçons appropriées. Dans le Mahabharata, cela est merveilleusement exprimé. A la question de Yamaraja, le deva de la mort, « Quelle est la chose la plus extraordinaire au monde?« , Maharaja Yudhisthira, un des cinq Pandavas, répond : « Chaque jour des centaines et millions d’êtres vivants sont envoyés au royaume de la mort. Mais, malgré tout, ceux qui restent aspirent à une situation permanente dans ce monde et ainsi ne se préparent pas à mourir. Qui y-a-t-il de plus incroyable !? »
Ainsi, le dégoût et la lassitude du dévot vis-à-vis du monde matériel est différente de celle de quelqu’un d’autre (Et encore moins bien sûr si elle est d’ordre pathologique telle que la neurasthénie et la dépression), car elle reste basée sur sa conscience de Krishna, sa conscience spirituelle, qui lui donne la capacité, contrairement aux autres dont la faculté d’oubli est plus grande et l’intelligence plus réduite, de tirer les leçons qui s’imposent de ses expériences amères dans la matière.
Et le Seigneur Krishna précise ainsi dans la Bhagavad-gita (15.15) :
« Je Me tiens dans le coeur de chaque être, et de moi viennent le souvenir, le savoir et l’oubli. »
Le Seigneur et l’entité vivante dans la Mundaka Upanisad sont comparés à deux oiseaux assis dans un arbre (le coeur de l’être vivant ) quand celui-ci mange les fruits amers ou sucrés du monde matériel, le Seigneur, Son meilleur ami, se contente d’observer ses activités.
Ainsi, si les hommes en général dans ce monde matériel n’éprouvent pas de dégoût véritable vis-à-vis de l’existence matérielle, ne se posent pas trop de questions sur le sens de leur existence et ainsi, ne s’en détachent pas (mais au contraire s’y attachent de plus en plus), c’est que Dieu ou Krishna, l’Âme Suprême dans leur coeur, répondant à leur désir de jouir du plaisir des sens, ne leur donne pas véritablement la capacité pour. Si Krishna imposait de force à tous, la conscience de Krishna, on ne pourrait pas parler d’amour de la part de Dieu vis-à-vis des êtres vivants, ces parcelles infimes de Lui-même. Il facilite leurs jouissances en les aidant à faire abstraction du caractère misérable et temporaire du monde matériel ( duhkhâlayam, asâsvatam, voir BG 8.15), les aidant à rester constamment plongés dans l’illusion ou mâyâ.
Ainsi, sous l’influence de maya, les êtres conditionnés en ce monde perçoivent celui-ci comme un lieu de plaisir et de satisfaction des sens, alors quand réalité il n’en est rien. Etant enveloppés et recouverts par cette conscience d’être le Maître et le « Profiteur » du monde matériel, ils deviennent vite submergés par une infinités de désirs matériels, tous aussi illusoires les uns que les autres. Ils s’y perdent d’ailleurs eux-mêmes tellement, qu’au milieu de cette myriade d’aspirations et de désirs infinis, ils sont parfois envahis par l’angoisse, le doute et la confusion, jusqu’à parfois en perdre la tête et finir même à l’asile psychiatrique.
Mais, malgré tout, une personne qui jusque là était indifférente vis-à-vis de la spiritualité peu, après maints échecs répétés et projets avortés au niveau matériel, désirer enfin s’enquérir de la Vérité Absolue. Elle se pose alors la question qui ouvre la réflexion philosophique par excellence dans le Vedanta sutra : « athato brahma jijnasa; maintenant (que j’ai une forme humaine) est venu le temps de s’enquérir de la nature de la Vérité Absolue ».
Et si elle a la chance, à cet instant de lassitude, de détachement et de remise en question, de rencontrer un maître spirituel authentique, un pur dévot de Krishna, tel Srila Prabhupada ou son représentant authentique, – ce qui à ce stade malheureusement n’est pas souvent le cas car elle est souvent fourvoyée par de faux gurus – elle pourra retrouver progressivement sa conscience originelle, sa conscience de Krishna, la véritable source de félicité et de bonheur. Et par là-même, elle retrouvera une juste perception du monde matériel, amorçant enfin, en cultivant le détachement de celui-ci, la possibilité, avec la grâce du maître spirituel et des Saints Noms de Krishna – Hare Krishna Hare Krishna, Krishna Krishna, Hare Hare / Hare Rama Hare Rama, Rama Rama, Hare Hare – , de s’en affranchir définitivement . Elle pourra retrouver son véritable privilège, en tant qu’âme spirituelle éternelle, parcelle de Dieu: goûter à des relations éternelles d’amour, en compagnie du Seigneur Suprême Krishna et Ses purs dévots, au sein de sa famille éternelle retrouvée, dans le monde spirituel.
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