Mes impressions sur Srila Prabhupada
Suite de la Première Partie:
Subhananda dasa: Mise à part cette première rencontre avec Srila Prabhupada dont vous avez déjà parlé, en avez-vous eu d’autres?
Dr Judah: J’ai retrouvé Srila Prabhupada à Berkeley pendant le festival du ratha-yatra en 1971. Je lui ai brièvement parlé à cette occasion. Notre conversation porta essentiellement sur le livre auquel je travaillais: « Hare Krsna et la contre-culture ». J’avais de nombreuses questions à lui poser, mais la rencontre fut brève. La troisième eut lieu en 1974 et fut peut-être la plus importante. Mon livre était déjà paru et je lui en avais fait parvenir un exemplaire.
Subhananda dasa: N’est-ce pas cette fois là que nous sommes allé voir Srila Prabhupada ensemble au temple de Los Angeles?
Dr Judah: Il me semble en effet. Il m’avait adressé une lettre chaleureuse au sujet de mon livre, le louant grandement. Je trouvais son appréciation de ce livre plutôt étonnante, car bien que l’ouvrage fût finalement favorable au mouvement, il n’avait pas été rédigé d’un point de vue dévotionnel, mais c’était plutôt une critique objective, historique et sociologique.
Subhananda dasa: Je me souviens vaguement de la conservation, mais vous vous en rappelez peut-être mieux que moi.
Dr Judah: A vrai dire, nous avions surtout parlé de mon livre. Le plus important fut qu’il m’invita à une promenade avec lui le lendemain matin vers 6h sur la plage de Venice. Pendant cette conversation, alors que nous flânions sur la plage, il me fit une importante révélation, qui fit la lumière sur une confusion que j’avais faite. Durant mon enquête sur le Mouvement Hare Krishna, je n’avais pas bien saisi le sens des réponses que certains dévots avaient donné à une des questions que je leur avais posée, au sujet de l’âge auquel ils avaient senti que leurs religions d’origine n’avaient plus aucun sens our eux. Certains avaient donné une date précise, alors que d’autres avaient répondu qu’ils n’avaient pas abandonné le christianisme, et qu’ils considéraient être encore des chrétiens. Inutile de vous dire que ne cela me sembla curieux. Alors que nous nous promenions au bord de l’eau, à marée haute, il parlait du christianisme et de la croyance en Jésus-Christ comme étant le fils de Dieu, à laquelle il adhérait. Pensant à la croyance chrétienne orthodoxe de la Trinité, il me demanda: « Si Jésus-Christ est le Fils de Dieu, qui est donc ce Père? » Il se réfèrait bien sûr à Krishna, Dieu le Père.
J’entrevis alors la vérité. Bien sûr! Ne pouvant s’intégrer à l’église mère qui adhérait à une culture matérialiste qu’ils avaient rejetée, les disciples de Srila Prabhupada avaient à la place reçu de lui une culture et une façon de vivre qui s’accordaient avec leurs contestations. Il leur transmit la tradition védique de l’Inde qui renforçait leurs vues antimatérialistes et confirmait que les plaisirs matériels sont éphémères et illusoires. Prabhupada fit adopter à ses disciples les vues de Sri Caitanya Mahaprabhu, le saint du XVIe siècle, dont le message prenait ses racines dans la Bhagavad-gita, et qui est donc antérieur au christianisme. Les dévots qui se déclarent toujours chrétiens ont non seulement accepté la culture védique transmise par Srila Prabhupada, mais également une nouvelle identification à Jésus-Christ en tant que Fils de Dieu, alors que Dieu le Père leur était présenté sous un Nom personnel: Krishna. Pour eux, le Saint Esprit correspond à Paramatma, l’Ame Suprême, l’aspect sous lequel Krsna est présent en chaque être, témoin et guide divin.
Subhananda dasa: Pour vous, le fait que les dévots passent du christianisme à la Conscience de Krishna est-il une étape négative, le rejet pur et simple du matérialisme évident du christianisme d’aujourd’hui, ou bien est-ce une étape positive, l’attirance spontanée vers les enseignements et le mode de vie de la Conscience de Krishna ?
Dr. Judah: Les deux, bien sûr, mais je dirais que leur démarche et principalement motivée par un intérêt positif dans la conscience de Krishna. Srila Prabhupada a enseigné une philosophie vaisnavapure qui met l’accent sur de nombreuses enseignements de Jésus, oubliés ou guère plus pratiqués par les chrétiens, occupés à rechercher les plaisirs matériels. Bien peu de chrétiens aujourd’hui accepteraient de prendre la croix du Christ et de le suivre dans sa vie de sacrifice où l’amour de Dieu et Son service se placent au-delà des plaisirs de ce monde; et ils mettraient plutôt de côté l’injonction de Jésus au riche et jeune souverain dans Mathieu (9.21): abandonner toutes possessions et le suivre. Bien peu voudraient obéir au commandement du Christ, toujours dans Mathieu (6.19-21): rechercher les trésors spirituels plutôt que d’accumuler les biens de ce monde. Dans leur quête d’une vie spirituelle essentielle et tangible, de nombreux dévôts rejetèrent l’hypocrisie du christianisme moderne, et cherchant toujours, ils trouvèrent la conscience de Krsna: ils sentirent qu’ils avaient découvert une vie de renoncement authentique et de discipline spirituelle.
Subhananda dasa: Pourquoi les enseignements de Srila Prabhupada s’adressaient-ils principalement aux jeunes comme le démontre l’âge de la plupart de ses disciples?
Dr. Judah: La vie de beaucoup avait perdu son sens pendant la révolution de la contre-culture, et Srila Prabhupada, lui, redonna une direction à leur existence. A cette époque prospère, beaucoup de jeunes Américains dédaignaient les buts matérialistes de la culture en place. Ils n’avaient pas le sentiment que gagner plus d’argent à dépenser dans des plaisirs matériels ait apporté un bonheur plus durable à leurs parents. Ils en arrivèrent à croire qu’il devait exister une réalité spirituelle plus précieuse qu’ils n’avaient pas encore découverte. La culture établie ne leur avait pas donné de but, et ils n’avaient pas trouvé de signification aux principales religions qui avaient soutenu cette culture. A ces jeunes, Srila Prabhupada a donné un refuge sérieux, qui témoigne de la possibilité de vivre en ayant des buts différents, et il leur enseigna la stricte discipline par laquelle ils pourraient les atteindre. Je pense que ceci fut l’une de ses plus importantes contributions.
Subhananda dasa: Certains commentateurs, et en particulier ceux qui s’exprimaient d’un point de vue sociologique, ont suggéré, ont fait naître l’idée que Srila Prabhupada avait accompli quelque chose qui tenait du miracle en extirpant tant de jeunes de cette culture des années 60 et 70, vouée à la drogue et à la violence.
Dr. Judah: C’est tout à fait vrai. Dans ces périodes d’évolution culturelle rapide, comme ce fut surtout le cas dans les années 60, il y a de longues phases de violence et de troubles, et les gens cherchent désespérément quelque chose qui ait un sens pour eux, et ils ont tendance à vouloir détruire ce qui leur semble dénué de sens ou corrompu. Ils n’avaient pas trouvé de but à leur vie et Srila Prabhupada leur indiqual la réelle direction à suivre; c’est alors qu’ils voulurent et furent capables d’accepter un changement radical de leur façon de vivre. Et je pense que ceux qui, en Amérique, s’élevèrent contre les « sectes » n’ont pas pu suffisamment apprécier ce que Srila Prabhupada a apporté à ces jeunes. Il a transformé ces individus de la façon la plus positive. Il les a éloigné de la drogue et du crime. Je me suis entretenu avec de nombreux dévots comme Dharma, par exemple, qui avait été mêlé à de nombreuses actes de violence. Vous-mêmes avez admis avoir été impliqué à cette époque, comme beaucoup d’autres dévots. Tant d’éléments violents dans notre société en période de mutation culturelle sont dus à ces facteurs, mais lorsqu’ils trouvent le remède, comme ce que Srila Prabhupada leur a apporté, leur vie entière en est transformée. Il les corrigea à travers une discipline morale stricte. Ils abandonnèrent la drogue, le crime, et apportèrent de grands changements dans leur vie. Je trouve cela très important et je pense que c’est là une de ses plus importantes contributions, du point de vue social, et elle est d’ailleurs rarement admise par les critiques. Prabhupada changea leur coeur et ils passèrent de la haine envers la société à l’amour – l’amour de Dieu et de tous les êtres à travers une compréhension spirituelle et profonde de Dieu présent en chacun d’entre nous dans Sa Forme de l’Ame Suprême. Malheureusement, le monde est très lent à admettre la valeur de telles contributions.
Subhananda dasa: Autre chose au sujet de Srila Prabhupada ou sur son oeuvre?
Dr. Judah: Oui… J’ai toujurs été impressionné par son esprit de sacrifice. Il a été élevé et éduqué en Inde, il a été chef de famille, a élevé des enfants, dirigé une entreprise de produits pharmaceutiques, et il a en fin de compte décidé d’employer tout son temps et son énergie à la mission religieuse dont son guru, Bhaktisiddhanta Sarasvati, l’avait investi: transmettre le message de Sri Krsna Caitanya en Occident. Fidèle à la tradition des saints de l’Inde, il abandonna le conforts matériel et la retraite au sein de la famille qu’il aimait. Au contraire, comme le maître de Galilée avant lui, il accepta d’abandonner sa propre famille pour une mission plus élevée. Déjà âgé, il vint sans un sou vaillant en Amérique afin d’entreprendre une vie de sacrifice. Je penses que l’on n’a pas assez pris en considération les difficultés occasionnées par le fait qu’il soit arrivé ici sans argent. C’était une chose énorme, un sacrifice immense. Au lieu de se retirer dans sa famille et profiter de la vie, il abandonna tout.
Et il le fit pour la seule raison que son maître spirituel le lui avait demandé. Si l’on y pense, si l’on médite là-dessus, on se rend compte à quel compte à quel point ce sacrifice était grand. Il n’est jamais reparti, ne s’est jamais retiré en pensant: « J’ai fait tout ce que j’ai pu, tout marche bien, je vais maintenant partir et retourner vers ma famille, » mais il a continué ce sacrifice jusqu’au jour de sa mort.
Subhananda dasa: Ceux d’entre nous qui étaient avec Srila Prabhupada en Inde pendant les jours qui précédèrent son décès furent témoins de son inébranlable esprit de sacrifice. Alors qu’il était physiquement si faible qu’il lui était impossible de bouger sans aide, il continuait à dicter ses traductions et commentaires du Srimad-Bhagavatam et ce, pour ainsi dire jusqu’à son dernier souffle, avec une parfaite clarté de pensée et de langage.
Dr. Judah: Peut-être aurait-il vécu plus longtemps s’il n’avait pas autant voyagé. Il venait chaque année aux Etats-Unis, à San Francisco pour le festival du ratha-yatra, et dans d’autres villes, supervisant l’organisation du mouvement, voyageant de par le monde entier malgré son âge. Tout ceci est très fatiguant et requiert beaucoup d’énergie. Malgré tout, il fit tout cela jusqu’à la fin et c’est tout simplement remarquable.
Subhananda dasa: A cet âge, les gens font plutôt attention.
Dr. Judah: Oui, ils se ménagent, c’est vrai, au lieu de se lever tôt le matin, travailler et produire cette énorme quantité de traductions. Nous nous rendons compte que Srila Prabhupada a sacrifié tout confort personnel à l’enseignement de la conscience de Krishna. Il quitta l’Inde, seul et sans argent, vint en Amérique et fonda une nouvelle grande famille qu’il aima comme la sienne. Il lui confia la mission de répandre la Conscience de Krishna à travers le monde. Par son exemple, ses disciples apprirent cet amour transcendantal qui s’étend à Dieu, aux plantes, aux animaux et à l’humanité entière.
Subhananda dasa: Merci.
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