Origène
(v.185- v.254)
Dans l’entretien qui suit, Hayagriva das (Prof. Howard Wheeler) présente la philosophie de Blaise Pascal à Sa Divine Grâce A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupada ( Fondateur-Acharya du Mouvement pour la Conscience de Krishna ) qui la compare à la pensée védique.
Traduction française: Priya Bhakta das (Denis Bernier)
Hayagriva: On considère généralement Origène comme le fondateur de la philosophie chrétienne formelle car il est le premier à s’efforcer d’établir le christianisme autant sur la philosophie que sur la foi. Il croit que l’ultime réalité spirituelle consiste en une Personne Suprême et Infinie: Dieu, et les personnalités individuelles. La réalité ultime peut être définie sous forme de relations mutuelles entre personnes ainsi qu’avec la Personne Infine Elle-même. Par ce point de vue, Origène se distingue des Grecs, qui s’avèrent fondamentalement impersonnalistes.
Srila Prabhupada: Notre conception védique rejoint presque la sienne. Les âmes individuelles, que nous nommons « êtres vivants », existent de toute éternité, et une relation intime unit chacune d’elles avec Dieu, la Personne Suprême. Dans la vie matérielle, ou conditionnée, l’être oublie cette relation. En pratiquant le service de dévotion, il atteint le niveau de la libération et rétablit sa relation avec le Seigneur Souverain.
Hayagriva: Origène adhère à la doctrine de la Trinité dans laquelle Dieu le Père serait suprême. Dieu le Fils, appelé Logos, est subordonné au Père. C’est le Fils qui crée l’Univers matériel. C’est-à-dire que Dieu le Père n’est pas le créateur immédiat; plutôt, c’est le Fils qui joue ce rôle, comme Brahmâ. Le troisième aspect de la Trinité, le Saint-esprit, Lui, est subordonné au Fils. Selon Origène, ces trois aspects sont divins et co-éternels. Ils ont toujours existé comme la Trinité de Dieu.
Srila Prabhupada: Selon les Védas, Krishna est Dieu, la Personne Suprême. La Bhagavad-gita (10.8) le confirme: aham sarvasya prabhavah: « De tous les mondes, spirituels et matériels, Je suis la Source. » Peu importe que vous appeliez cette Source le Père, le Fils ou l’Esprit Saint. La conception védique reconnaît deux sortes d’émanations: 1) les émanations personnelles de Dieu, dites Visnu-tattva, 2) Ses parties intégrantes, ou parcelles, nommées jîva-tattva. Il existe aussi plusieurs variétés d’émanations personnelles: les purusas-avatâras, les shaktyâvesh- avatâras, les manvantara-avatarâs (Manus), etc.. (voir les catégories d’avâtaras et leur origine) pour opérer la création de cet Univers matériel, le Seigneur Se multiplie en Brahmâ, Vishnu et Maheswara (Shiva). Vishnu est une émanation et Brahmâ, un jîva-tattva. Entre ces deux catégories existe une sorte d’émanation intermédiaire appelée Shiva, ou Mahesvara. Les ingrédients matériels sont fournis à Brahmâ qui orchestre une création spécifique. Vishnu la maintient et Shiva la détruira. C’est la nature de la puissance externe d’être créé, préservée, puis dissoute. Le Chaitanya-charitâmrita offre plus de détails à ce sujet. Quoi qu’il en soit, les jîvas, les êtres vivants, sont tous considérés fils de Dieu et sont ou libérés, ou conditionnés. Les premiers jouissent de la compagnie personnelle du Seigneur Suprême; les seconds, qui habitent ce monde, ont oublié Dieu. Aussi souffrent-ils en diverses formes corporelles ici-bas. Ils peuvent toutefois s’élever en pratiquant la conscience de Krishna sous la direction des Ecritures et du guru authentique.
Hayagriva: Origène estime que c’est par l’effort conjugué de la grâce divine et du libre arbitre de l’homme que l’âme individuelle accède à la perfection, laquelle consiste à développer une relation personnelle avec la Personne infinie.
Srila Prabhupada: C’est ce qu’on nomme bhakti-mârga (la voie de la dévotion). La Vérité Absolue se manifeste sous trois aspects: Brahman, Paramâtmâ et Bhagavân. Ce dernier est Son aspect personnel et le Paramâtmâ, sis dans le coeur de chacun, peut se comparer au Saint-Esprit. Le Brahman, lui, est omniprésent. La plus haute perfection spirituelle inclut la compréhension de l’aspect personnel du Seigneur. Celui qui comprend Bhagavân Le sert. Ainsi, l’être se situe dans sa position originelle, normale et connaît la félicité éternelle.
Hayagriva: Origène considère que de même que le libre arbitre de l’homme hâtera sa chute, il peut aussi lui apporter le salut. L’homme peut retourner à Dieu en pratiquant le détachement de la matière. Un tel détachement est rendu possible par l’aide du Logos, du Christ.
Srila Prabhupada: Telle est aussi notre conception. L’âme déchue transmigre au sein de cet Univers matériel, s’élevant et se dégradant en diverses formes de vie. Lorsque sa conscience se développe suffisamment, Dieu peut l’éclairer en lui donnant l’enseignement de la Bhagavad-gita. Grâce à l’aide du maître spirituel, elle peut être parfaitement éclairée. Comprenant sa position transcendantale et félicieuse, elle délaisse automatiquement tout attachement au corps. C’est alors qu’elle acquiert la liberté. L’être atteint sa condition constitutionnelle lorsqu’il s’établit dans son identité spirituelle et s’engage au service du Seigneur.
Hayagriva: Origène croit que tous les éléments du corps matériel se retrouvent aussi dans le corps spirituel, qu’il appelle « l’homme intérieur ». Il écrit: « En chacun de nous vivent 2 hommes… De même que chaque homme extérieur a pour homonyme l’homme intérieur, il en est ainsi pour tous ses membres, et on peut dire que chaque membre de l’homme extérieur peut être découvert sous ce nom dans l’homme intérieur… » Ainsi, pour chaque sens que possède le corps extérieur on retrouve un sens correspondant dans le corps intérieur, ou spirituel.
Srila Prabhupada: L’âme spirituelle habite présentement le corps matériel, mais à l’origine, elle en est dépourvue. Le corps spirituel de l’âme existe éternellement. Le corps de matière n’est qu’une enveloppe recouvrant le corps spirituel. La forme matérielle de l’être se conforme, comme un costume, à celle du corps spirituel. Les éléments matériels: la terre, l’eau, l’air, le feu, etc.., forment une sorte d’argile lorsqu’on les amalgame et recouvrent le corps spirituel. Puisque ce dernier a une forme, l’enveloppe matérielle en prend aussi une. En réalité, le corps de matière n’a rien à voir avec celui de l’esprit; ce n’est rien de plus qu’une souillure qui fait souffrir l’âme. Dès que celle-ci est recouverte par cette contamination matérielle, elle s’identifie à cette enveloppe et oublie son vrai corps spirituel. C’est ce qu’on appelle mâyâ, l’ignorance, ou l’illusion. Cette ignorance se perpétue tant que nous ne sommes pas pleinement conscients de Krishna. Lorsque nous le serons, nous comprendrons que le corps matériel n’est qu’une enveloppe externe dont nous sommes différents. Ayant atteint cette pure compréhension, nous accédons au niveau du brahma-bhûta. Lorsque l’âme, qui est brahman, subit l’illusion du conditionnement corporel, matériel, elle évolue alors sur le plan du jîva-bhûta. On accède au brahma-bhûta lorsqu’on cesse de s’identifier au corps matériel, pour s’identifier à l’âme qui l’habite. Une fois ce niveau atteint, nous trouvons la joie:
na śocati na kāńkṣati
« Celui qui atteint le niveau transcendantal réalise du même coup le Brahman Suprême, et y trouve une joie infinie. Jamais il ne s’afflige, jamais il n’aspire à quoi que ce soit; il se montre égal envers tous les êtres. Celui-là obtient alors de Me servir avec une dévotion pure. » Bhagavad-gita (18.54)
De cette position, on peut voir comme âmes spirituelles tous les êtres vivants; on ne voit plus l’enveloppe extérieure. Au lieu de voir un chien, on voit une âme recouverte par le corps d’un chien. La Bhagavad-gita (5.18) décrit également cet état:
« L’humble sage, éclairé du vrai savoir, voit d’un oeil égal le brâhmana noble et érudi, la vache, l’éléphant, ou encore le chien et le mangeur de chien (l’intouchable). »
Celui qui habite un corps animal ne saurait comprendre son identité spirituelle. La civilisation humaine qui adhère à l’institution du varnâshrama offre la meilleure chance qui soit de réaliser cette identité. Une telle institution divise la vie en 4 ashramas, et 4 varnas. La plus haute position est celle du brâhmana-sannyâsî, qui offre l’opportunité par excellence pour réaliser notre condition première, agir en conséquence et atteindre ainsi la délivrance, ou mukti. Celle-ci revient à comprendre notre position constitutionnelle pour agir en conséquence. L’existence conditionnée, vie d’asservissement, revient à s’identifier au corps et agir à ce niveau. Sur le plan de la mukti, nos activités diffèrent de celles accomplies lorsqu’on est conditionné. Le service de dévotion appartient au niveau de la mukti. Lorque nous nous livrons au service de dévotion, nous maintenons notre identité spirituelle et sommes donc libérés, même si nous habitons un corps matériel, conditionné.
Hayagriva: Origène croit aussi que l’homme intérieur, ou le corps spirituel jouit également de sens spirituels permettant à l’âme de goûter, voir, toucher et contempler les choses de Dieu.
Srila Prabhupada: Telle est la vie dévotionnelle.
Hayagriva: De son vivant, Origène est un maître célèbre, très en demande. Pour lui, prêcher signifie expliquer la Parole de Dieu, sans plus. Il croit que le prédicateur doit d’abord être un homme de prière, en contact avec Dieu. Il ne doit pas prier pour des biens matériels mais pour une meilleure compréhension des Ecritures.
Srila Prabhupada: Telle est la définition d’un vrai prédicateur. Comme l’expliquent les Ecritures védiques: sravanam/ kîrtanam (voir activtés dévotionnelles). Avant tout, on devient parfait par l’écoute. C’est le sravanam. Ainsi établi par une écoute parfaite auprès d’une personne autorisée, commence la prochaine étape: kîrtanam; la prédication. Dans le monde matériel, chacun écoute autrui. Pour réussir un examen, l’étudiant doit écouter son professeur. Puis, il peut devenir lui-même professeur. Si nous écoutons un être spiritualisé, nous devenons parfaits, de vrais prédicateurs. Il faut prêcher le message de Vishnu en Son Nom, non pour quiconque en cet Univers de matière. Nous devons écouter et prêcher les gloires de l’Être Suprême, Dieu, la Personne Absolue. Tel est le devoir de l’âme libérée.
Hayagriva: En ce qui concerne les contradictions et les apparentes absurdités scripturaires, Origène les considère des pierres d’achoppement que Dieu permet d’exister afin que l’homme dépasse le sens littéral. Il écrit: « Tout dans les Ecritures possède une signification spirituelle, mais pas nécessairement un sens littéral. »
Srila Prabhupada: Généralement parlant, chaque mot des Ecritures possède un sens littéral, mais les gens ne peuvent le comprendre comme il se doit car ils ne les entendent pas de la bonne personne. Au contraire, ils les interprètrent. Nul besoin d’interprêter la Parole de Dieu. Parfois, celle-ci ne peut être comprise par une personne ordinaire; aussi avons-nous besoin de l’intermédiaire « transparent » du guru. Puisque ce dernier est pleinement conscient de la Parole de Dieu; mais dû à notre savoir imparfait, il nous est parfois impossible de la comprendre; or, étant imparfaits, nos interprétations le sont aussi. L’enseignement à en tirer est que la parole de Dieu, les Ecritures, doit être comprise auprès d’une personne ayant réalisé Dieu.
Hayagriva: Origène admet 2 formes de renaissances. La première est le baptême, qui représente en quelque sorte une union mystique entre le Christ et l’âme. Il marque la première étape de la vie spirituelle, d’où l’on pourrait régresser ou progresser. On le compare à une ombre de la renaissance ultime, purification complète et renaissance dans le monde spirituel avec le Christ. Lorsque l’âme renaît avec le Christ, elle reçoit un corps spirituel comme le Christ, qu’elle contemple face à face.
Srila Prabhupada: Quelle position le Christ occupe-t’il?
Hayagriva: Il est assis à la droite du Père dans le royaume de Dieu.
Srila Prabhupada: Mais quand le Christ était présent sur Terre, plusieurs l’ont vu.
Hayagriva: Ils le virent de diverses façons, de même que plusieurs personnes virent Krishna différemment.
Srila Prabhupada: Serait-ce que le Christ peut être vu dans son corps purement spirituel?
Hayagriva: Lorsque l’âme renaît avec le Christ, elle contemple le corps spirituel de celui-ci à l’aide de sens spirituels.
Srila Prabhupada: Telle est aussi notre pensée.
Hayagriva: Origène ne croit pas que l’âme individuelle existe de toute éternité; elle fut créée. Il écrit donc: « Les natures rationnelles qui furent conçues au commencement n’existèrent pas toujours; elles virent le jour quand elles furent créées. »
Srila Prabhupada: C’est inexact. Et l’être et Dieu existent éternellement et simultanément; de plus, l’être fait partie intégrante de Dieu. Quoiqu’il existe de toute éternité, l’être change de corps. Na hanyate hanyamâne sarîre (Bhagavad-gita 2.20). Un corps après l’autre est créé puis détruit, mais l’être, lui, est éternel. Nous ne sommes donc pas d’accord avec Origène lorsqu’il dit que l’âme fut créé. Notre identité spirituelle n’est jamais créée. Voilà ce qui distingue l’esprit de la matière. Les choses matérielles sont créées, mais le spirituel n’a pas de commencement.
« Jamais ne fut le temps où nous n’existions, Moi, toi et tous ces rois; et jamais aucun de nous ne cesseras d’être. » Bhagavad-gita (2.12)
Hayagriva: Origène, par sa croyance en la transmigration, se distingue de la doctrine qu’adopta plus tard l’Eglise. Bien qu’il croit que l’âme fut à l’origine créée, il pense aussi qu’elle transmigre car peut toujours refuser de se donner à Dieu. Il voit donc l’âme individuelle comme s’élevant et tombant probablement de façon perpétuelle sur l’échelle évolutive. Plus tard, la doctrine de l’Eglise soutiendra qu’on choisit son éternité en cette seule vie. Selon Origène, l’âme individuelle, n’ayant pas atteint le but ultime, se réincarne encore et encore.
Srila Prabhupada: Telle est la version védique. A moins d’être libéré et de gagner le royaume de Dieu, l’être doit transmigrer d’un corps matériel à l’autre. Le corps de matière se développe, dure quelque temps, se reproduit, vieillit, puis devient inutile. L’être doit alors le quitter pour un autre. Dès qu’il en habite un neuf, il essaie encore de combler ses désirs et doit à nouveau subir la mort, puis accepter un autre corps matériel. Ainsi s’opère la transmigration.
Hayagriva: Il est intéressant de noter que ni Origène ni le Christ ne rejettent la transmigration. Ce n’est qu’avec saint Augustin qu’on refusera de l’admettre.
Srila Prabhupada: La transmigration constitue un fait. On ne peut porter les mêmes vêtements toute sa vie. Ceux-ci se font vieux et inutiles, et il nous faut les changer. L’être est assurément éternel, mais il doit accepter de revêtir un corps matériel pour la satisfaction de ses sens. Or, un tel corps ne saurait durer éternellement. La Bhagavad-gita explique tout cela de manière approfondie:
« A l’instant de la mort, l’âme prend un nouveau corps, aussi naturellement qu’elle est passée, dans le précédent, de l’enfance à la jeunesse, puis à la vieillesse. Ce changement ne trouble pas qui a conscience de sa nature spirituelle. » Bhagavad-gita (2.13)
« Comme l’air emporte les odeurs, l’être vivant, en ce monde de matière, emporte avec lui, d’un corps à l’autre, les diverses manières dont il conçoit la vie. » Bhagavad-gita ( 15.8)
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