La Vie et l’Enseignement de
Sri Chaitanya Mahaprabhu
par Sa Divine Grâce
AC BHAKTIVEDANTA SWAMI PRABHUPADA
Deuxième Partie:
Sri Chaitanya, le sauveur des âmes déchues: histoire de jagaï et madhaï
Les évènements qui provoquèrent Son sannyasa (ordre du renoncement).
Sri Chaitanya prend sannyasa de Kesava Bharati
Désir contrarié de visiter Vrndavana; départ pour Jagannatha Puri; visite de temples.
Arrivée à Jagannatha Puri; Sri Chaitanya s’évanouit dans le temple: Rencontre avec Sarvabhauma Bhattacarya, le plus grand des érudits.
Sarvabhauma Bhattacarya L’instruit sur le Vedanta d’après Sankaracarya
Sri Chaitanya, s’appuyant sur les Ecritures Védiques, réfute sa présentation impersonnaliste
Il ne faut pas interpréter les Vedas mais les restituer fidèlement
Sri Chaitanya, le sauveur des âmes déchues
– la conversion de Jagaï et Madhaï –
Un jour, Srila Nityananda et Srila Haridasa Thakura marchent le long d’une grande rue de la ville, lorsqu’ils aperçoivent au loin une foule bruyante. Les passants leur apprennent que deux frères en état d’ivresse, Jagai et Madhai, troublent le populaire. Ces deux frères, leur apprend-on, sont issus d’une respectable famille de brahmanas, mais à cause de mauvaises fréquentations, ils sont devenus des débauchés de la pire espèce. Non seulement ils s’enivrent, mais encore ils mangent de la viande, pourchassent les femmes, pillent les gens et pèchent de mille autres façons encore. Entendant cela, Srila Nityananda Prabhu juge que ces deux âmes déchues doivent être les premières qu’il faut sauver. Si seulement ils pouvaient être enlevés à leur existence pécheresse, le Nom glorieux de Sri Caitanya en deviendrait plus exalté encore. Avec cette idée, Nityananda Prabhu et Haridasa se fraient un chemin à travers la foule, parviennent jusqu’aux deux frères, et les prient, sans tergiversations, de chanter les Saints Noms du Seigneur, Hari. A cette requête, les deux frères ivrognes s’enflamment de rage et lancent à Nityananda Prabhu les paroles les plus odieuses. Puis, ils se jettent à la poursuite des deux bhaktas, les harcèlent longtemps. Le soir venu, chacun rapporte au Seigneur ses travaux du jour, et le Seigneur Se réjouit d’apprendre que Nityananda et Haridasa ont tenté de libérer deux êtres aussi bas. Le jour suivant, Nityananda Prabhu retourne voir les deux frères, mais cette fois dès qu’il s’en approche, l’un deux lui lance un tesson de jarre à la tête, provoquant une effusion de sang. Cependant, la générosité de Nityananda Prabhu est telle qu’au lieu de protester contre le geste odieux, il leur dit: « Peu importe que vous m’ayez ainsi fait violence. Je souhaite encore que vous chantiez les Saints Noms de Hari. » L’un des deux frères, Jagai, surpris de cette attitude, se prosterne aussitôt aux pieds de Nityananda Prabhu et lui demande de pardonner les offenses de son misérable frère. Et lorsqu’à nouveau Madhai tente de faire violence à Nityananda Prabhu, Jagai l’en empêche et l’implore de suivre son exemple. Entretemps, la nouvelle qu’on a blessé Nityananda est parvenue au Seigneur, qui Se hâte sur les lieux, bouillant de colère. Faisant appel à Son sudarsana-cakra, Son arme ultime, qui a la forme d’un disque, Il S’apprête à tuer sur-le-champ les coupables. Mais Nityananda Prabhu Lui rappelle alors Sa mission, qui est de libérer les âmes désespérément déchues du kali-yuga
. Jagai et Madhai ne sont-ils pas les vivants exemples de ces âmes déchues ? En effet, presque tous les hommes de cet âge sont comparables peu ou prou à ces deux frères, même quand ils viennent de familles respectables et sont doués de quelque valeur dans l’ordre matériel. D’ailleurs, les Ecritures annoncent que tous les hommes, dans cet âge, seront du niveau des derniers sudras, ou même plus bas encore. Notons ici que Sri Caitanya Mahaprabhu n’a jamais reconnu le système stéréotypé des castes, fondé sur les droits acquis par la naissance; Il préféra suivre strictement là voie tracée par les sastras (Ecritures), et qui repose sur le svarupa, ou l’identité réelle, de chaque être.
Quand Caitanya invoqua Son sudarsana-cakra et que Srila Nityananda Prabhu L’implora d’accorder Son pardon aux deux frères, les débauchés se jettèrent aux pieds du Seigneur et Le prièrent d’oublier leur basse conduite. Nityananda Prabhu demanda lui aussi à Sri Caitanya d’accepter auprès de Lui ces âmes repentantes, ce à quoi le Seigneur consentit, mais à une condition: ils devraient désormais abandonner complètement toutes leurs activités pécheresses et leurs habitudes de débauche. Les deux frères se plièrent à cette condition et le Seigneur les accepta comme disciples, après quoi Il ne fit plus jamais aucune allusion à leurs méfaits passés. Telle est la magnanimité toute particulière de Sri Caitanya. Dans l’âge où nous vivons, nul ne peut se prétendre à l’abri du péché. Ce serait chose impossible. Mais Sri Caitanya accueillit parmi les Siens les pécheurs de tout genre, à la seule condition qu’ils promettent de ne plus s’adonner à leurs vices après avoir reçu l’initiation d’un maître spirituel authentique.
On peut tirer plusieurs enseignements de l’histoire de Jagai et Madhai. Dans l’âge de Kali, presque tous les hommes sont comparables à ces deux frères. S’ils désirent s’affranchir des suites de leurs activités coupables, ils doivent prendre refuge auprès de Sri Caitanya Mahaprabhu et, après l’initiation spirituelle, s’abstenir de toute activité condamnée par les sastras. On trouvera ces règles décrites par le Seigneur dans Ses enseignements à Sri Rupa Gosvami.(Nectar de la dévotion chapitres 5,6,7,8)
Au cours de Sa vie de grihastha, Sri Caitanya ne fit pas autant de miracles qu’on pourrait en attendre d’un tel personnage. Cependant, un jour, dans la maison de Srinivasa Thakura, il accomplit une grande merveille. Le sankirtana est à son plein, quand le Seigneur demande à Ses dévots ce qu’ils veulent manger. « Des mangues », répondent-ils. Sri Caitanya demande alors qu’on Lui apporte un noyau de mangue, bien que le fruit soit hors saison. On Lui apporte le noyau qu’Il plante dans la cour de Srinivasa; aussitôt, une jeune pousse apparaît de la graine, qui devient en un rien de temps un manguier adulte, chargé de plus de fruits mûrs que n’en pourraient manger les bhaktas réunis. Cet arbre demeura dans la cour de Srinivasa, et les dévots du Seigneur purent y cueillir à tout moment autant de fruits qu’ils le désiraient.
Les évènements qui provoquèrent
Son sannyasa (ordre du renoncement).
Caitanya possède une très haute estime pour les sentiments d’amour qu’éprouvent les jeunes filles de Vrajabhumi (Vrndavana) à l’égard de Krsna, et par considération de leur pure dévotion au service du Seigneur, Il Se met un jour à chanter les saints noms des gopis plutôt que ceux de Krsna. Certains de Ses disciples, qui étudiaient sous Sa tutelle, s’approchant de Lui entendent cela et sont frappés d’étonnement. Par pure sottise, sans réfléchir, ils conseillent au Seigneur de chanter plutôt les Noms de Krsna. Sri Caitanya, troublé dans Son extase par ces maladroits, les châtie et les chasse de Sa présence. Ces étudiants disciples avaient presque le même âge que Caitanya, et bien à tort Le croyaient de leur niveau. Ils se réunirent et, d’un commun accord, décidèrent de se dresser contre Lui s’Il osait encore les punir de la sorte. D’autre part, l’incident donna l’occasion dans le public à certains propos malicieux concernant le Seigneur.
Averti de ce fait, Sri Caitanya commença par réfléchir aux différentes sortes d’hommes qui peuplent la société. Il remarqua en particulier que des étudiants, professeurs, yogis et abhaktas, de même que différents types d’athées et de matérialistes, s’opposent à la pratique du service de dévotion offert au Seigneur. Il pensa alors: « Ma mission est de délivrer tous les êtres déchus de cet âge. Mais s’ils commettent des offenses envers Moi, s’ils Me prennent pour un homme ordinaire, ils ne recevront pas le bénéfice de Ma présence. Pour faire leurs premiers pas dans la vie spirituelle, ils doivent, d’une façon ou d’une autre, Me rendre leur hommage. » Le Seigneur, Sri Caitanya, décide alors d’accepter le sannyasa, ou l’ordre du renoncement, car les hommes ont généralement tendance à rendre leur hommage à un sannyasi.
Il y a cinq cents ans, en Inde comme ailleurs, la société humaine n’était pas aussi dégradée qu’aujourd’hui. A cette époque, les gens montraient du respect pour un sannyasi, et les sannyasis, de leur côté, observaient strictement les règles qui s’attachent à la vie de renoncement. Sri Caitanya Mahaprabhu, de Lui-même,
n’était pas très favorable à l’acceptation du sannyasa dans l’âge de Kali, mais l’unique motif de Son attitude était que très peu y sont capables d’observer les règles et normes de la vie de renoncement. Il décida cependant d’embrasser cet ordre et de devenir un parfait sannyasi afin que les masses Lui portent respect. Car c’est le devoir de chacun de faire montre de respect envers un sannyasi, considéré comme le maître spirituel de tous les varnas et asramas.
Sri Chaitanya Mahaprabhu prend l’ordre du renoncement
Dans les jours où Sri Caitanya pense à prendre le sannyasa, Kesava Bharati, un sannyasi de l’école Mayavada qui réside dans la localité de Katwa au Bengale, se trouve justement en visite à Navadvipa. Le Seigneur l’invite à partager Son repas et, profitant de l’occasion, demande à recevoir de lui le sannyasa. Du point de vue de la forme, car le sannyasa doit être reçu en effet d’un sannyasi. Aussi, bien qu’indépendant à tous égards, le Seigneur, afin de Se conformer aux normes établies dans les sastras, accepte le sannyasa de Kesava Bharati, même si ce dernier n’appartient pas à la sampradaya, ou filiation spirituelle, vaisnava.
Après Sa rencontre avec Kesava Bharati, Sri Caitanya quitte Navadvipa pour Katwa, en vue de Se voir conférer le sannyasa dans les plus pures formes. Srila Nityananda Prabhu, Candrasekhara Acarya et Mukunda Datta L’accompagnent au cours du voyage et L’assisteront dans les détails de la cérémonie. L’événement se trouve décrit de façon très élaborée dans le Caitanya-bhagavata de Srila Vrndavana Dasa Thakura.
Ainsi, à la fin de Sa vingt-quatrième année, dans le mois de Magha (janvier- février), Sri Caitanya devient sannyasi. Dans la suite de Sa vie, Il Se consacrera pleinement à la propagation du bhagavata-dharma. Pour tout dire, cette oeuvre L’absorbait déjà tout entier lorsqu’Il était encore grhastha, et si quelque obstacle se dressait alors sur Sa voie, Il sacrifiait même le confort de Son foyer pour sauver les âmes déchues. Ses assistants d’alors étaient Srila Advaita Prabhu et Srila Srivasa Thakura. Mais après qu’Il ait pris le sannyasa, leur rôle échut à Srila Nityananda Prabhu, qui fut envoyé au Bengale pour y prêcher, et aux six Gosvamis (Rûpa Gosvami, Sanatana Gosvami, Jiva Gosvami, Gopala Bhatta Gosvami, Raghunatha Dasa Gosvami, et Raghunatha Bhatta Gosvami), qui, sous la conduite de Srila Rupa et Sanatana, furent envoyés à Vrndavana afin d’y repérer les différents lieux saints que nous y connaissons aujourd’hui. De cette manière, Sri Caitanya dévoila l’emplacement de l’actuelle Vrndavana et montra l’importance de Vrajabhumi.
Désir contrarié de visiter Vrndavana;
départ pour Jagannatha Puri; visite de temples
Aussitôt après avoir reçu le sannyasa, Caitanya manifeste le désir de Se rendre à Vrndavana. Il Se met donc en route et voyage pendant trois jours consécutifs de par le Radha-desa (Région qui n’est pas irriguée par le Gange.), empli d’extase à l’idée d’aller à Vrndavana. Mais Srila Nityananda Prabhu Le fait alors dévier de Sa route et Le conduit à la demeure d’Avaita Prabhu à Santipura. Là, le Seigneur passe quelques jours, que Sri Advaita, sachant que Caitanya va maintenant quitter le foyer pour toujours, met à profit pour envoyer chercher Sa mère, Saci, à Navadvipa, qu’elle puisse rencontrer son Fils une dernière fois. Certains, dénués de scrupules, prétendent que Caitanya rencontra également Son épouse après avoir accepté le sannyasa, et qu’Il lui aurait offert Ses sandales de bois pour qu’elle les adore, mais aucune source authentique ne fait mention d’une telle rencontre. Sacidevi est donc mise en présence de son Fils dans la maison d’Advaita Prabhu, et quand elle prend conscience de Son geste de renoncement, elle en devient fort contristée. En guise de compromis, elle demande à son Fils de S’installer dans la ville de Puri en Orissa, afin d’obtenir facilement de Ses nouvelles, et Caitanya accède au dernier souhait de Sa mère chérie. Après cet incident, Il partira en direction de Puri, laissant tous les habitants de Navadvipa dans un océan de lamentations.
En route vers Puri, Caitanya visite plusieurs lieux importants, dont le temple de Gopinathaji, connu pour avoir chapardé du riz au lait au bénéfice de son dévot Srila Madhavendra Puri. Depuis ce temps, la Murti de Gopinathaji est célèbre sous le Nom de Ksira-cora Gopinatha. Lorsqu’on Lui rapporte l’histoire de Gopinathajï, Sri Caitanya la savoure avec grand plaisir. La tendance au larcin se manifeste même au niveau de la Conscience absolue, mais lorsqu’elle apparait ainsi en l’Absolu, elle perd toute connotation perverse; elle devient même digne de l’adoration de Sri Caitanya, qui fonde Son attitude sur le
fait absolu que le Seigneur et Sa tendance au larcin ne font qu’Un. On retrouvera les détails de ce récit dans le Caitanya-caritamrta de Krsnadasa Kaviraja Gosvami.
Après cette visite au temple de Ksira-cora Gopinatha de Remuna à Balasora, en Orissa, le Seigneur S’arrête au temple de Saksi Gopala, dont la Murti est célèbre pour avoir joué le rôle de témoin dans une querelle de famille opposant deux bhaktas brahmanas. Cette histoire également, racontée au Seigneur, L’emplit de joie, car Celui-ci veut justement montrer aux athées que la Forme de la Murti dans le temple, Forme digne d’adoration et reconnue par tous les grands acaryas, n’est, en rien une idole, comme le voudraient des hommes de peu de savoir. La Murti dans le temple est la manifestation arca de Dieu, la Personne Suprême, en tous points identique à Lui. Seulement voilà, le Seigneur Se donne à Son dévot en fonction de l’amour que celui-ci Lui porte. L’histoire où intervient Saksi Gopala a pour origine une mésentente familiale entre deux dévots du Seigneur. Celui-ci, pour trancher le différend de Ses serviteurs aussi bien que pour leur faire une faveur spéciale, Se déplaça, dans Sa Forme arca (Murti), de Vrndavana à Vidyanagara, un village d’Orissa. Puis, de ce village, on emmena la Murti à Kataka, où des milliers de pèlerins la visitent encore aujourd’hui en se rendant à Jagannatha Puri. Sri Caitanya passa la nuit au temple de Saksi Gopala avant de reprendre Sa route. C’est au cours de ce voyage que Nityananda Prabhu brisa le bâton de sannyasi du Seigneur; Celui-ci, en colère contre lui, du moins en apparence, poursuivit seul Sa route vers Puri, laissant derrière Lui Ses compagnons.
Arrivée à Jagannatha Puri; Sri Chaitanya s’évanouit dans le temple; Rencontre avec Sarvabhauma Bhattacarya
A Puri, en entrant dans le temple de Jagannatha, Sri Caitanya Se sent aussitôt transporté d’extase spirituelle, et Il S’écroule sur le sol, inconscient. Les gardiens du temple sont incapables de comprendre ce qui arrive au Seigneur, mais un grand pandita très érudit, Sarvabhauma Bhattacarya, qui se trouve également présent, peut saisir que cette perte de conscience n’est pas un événement ordinaire. Sarvabhauma Bhattacarya, lequel est alors le plus important des panditas attitrés à la cour du Roi d’Orissa, Maharaja Prataparudra, se sent fasciné par l’éclat de jeunesse qui émane du Corps de Sri Caitanya Mahaprabhu; par ailleurs, il est en mesure de comprendre la rareté d’une telle extase spirituelle, qui n’est le fait que des bhaktas les plus évolués, déjà établis au niveau spirituel et complètement oublieux de l’existence matérielle. Seule une âme libérée est capable d’une telle démonstration, et le Bhattacarya, en vaste érudit, – peut percevoir la nature de ces choses à la lumière des Ecritures qui lui sont familières. Il demande alors aux gardiens du temple de ne pas troubler ce sannyasi inconnu, mais plutôt de l’emmener dans sa propre maison où son état d’inconscience pourrait être mieux surveillé. Le Seigneur Se voit donc aussitôt transporté dans la maison de Sarvabhauma Bhattacarya, lequel possède une assez grande autorité grâce à sa position de sabha pandita, ou Doyen de la Faculté d’Etat des Lettres sanskrites. L’érudit pandita désirait analyser d’une façon méticuleuse l’extase spirituelle de Caitanya, car il advient souvent que des bhaktas sans scrupule imitent une telle extase, faisant paraître sur leur corps des symptômes divers; ils espèrent, en se targuant d’avoir atteint la perfection spirituelle, attirer à eux des innocents pour les exploiter. Mais un savant érudit comme le Bhattacaya savait déceler de telles impostures et confondre sur-le-champ leurs auteurs.
Sarvabhauma Bhattacarya, à la lumière des sastras, vérifia tous les symptômes d’extase montrés par Sri Caitanya Mahaprabhu. Il conduisit l’épreuve en homme de science, non aveuglé par un banal sentimentalisme. Il examina les mouvements de l’estomac, les battements du coe ur et la circulation de l’air dans les narines. Il prit le pouls du Seigneur et constata en Lui la suspension complète de toute activité corporelle. Ayant placé quelques fibres de coton devant les narines de Caitanya, il put toutefois noter une légère vibration indiquant un faible mouvement respiratoire. A la suite de diverses expériences, il conclut finalement que l’état d’inconscience du Seigneur correspondait à une extase authentique, et il se mit en devoir de prendre envers Lui les mesures prévues pour de telles circonstances. Mais pour Sri Caitanya Mahaprabhu, ces mesures présentaient quelques particularités ! Il ne S’éveillerait qu’au chant, par Ses dévots, des Saints Noms du Seigneur. Sarvabhauma Bhattacarya ignorait cette méthode d’éveil, car il ne connaissait pas encore Sri Caitanya. Lorsqu’il L’avait vu pour la première fois, dans le temple, il L’avait pris pour un pèlerin parmi tant d’autres.
Pendant ce temps, les compagnons du Seigneur, qui ont atteint le temple peu après Lui, ont entendu parler de Son extase; on leur dit comment Il a été emmené par le Bhattacarya. Les pèlerins du temple se racontent encore l’incident. Par bonheur, l’un d’eux a rencontré Gopinatha Acarya, que connaît Gadadhara Pandita et qui se trouve être le beau-frère de Sarvabhauma Bhattacarya; par lui, l’on apprend bientôt que Sri Caitanya gît inconscient dans la demeure de ce dernier. Gadadhara Pandita présente tous ses compagnons à Gopinatha Acarya et celui-ci les conduit alors à la maison du Bhattacarya, où le Seigneur est toujours étendu, inconscient, plongé dans une extase toute spirituelle. Aussitôt, les bhaktas réunis se mettent à faire vibrer très haut les Saints Noms de Dieu, ou Hari, comme ils en ont l’habitude, et immédiatement le Seigneur reprend conscience. A la suite de cet incident, le Bhattacarya reçoit tous les membres du groupe, y compris Sri Nityananda Prabhu, et leur demande de bien vouloir se considérer comme ses hôtes d’honneur. Tout le groupe va alors prendre un bain dans l’océan avec le Seigneur tandis que le Bhattacarya fait les préparatifs nécessaires à leur séjour dans la maison de Kasi Misra, voyant à leur repos et à leur nourriture. Dans cette tâche l’assistait son beau-frère, Gopinatha Acarya. Les deux beaux-frères se livraient amicalement à un échange de propos quant à la Divinité de Sri Caitanya, et Gopinatha Acarya, qui connaissait déjà le Seigneur, essayait d’établir qu’Il était bel et bien Dieu, la Personne Suprême, tandis que le Bhattacarya voulait qu’Il fût un grand bhakta, mais non pas Dieu. Chacun appuyait ses arguments sur les sastras, et non pas sur quelque jugement sentimental et populaire. Les avataras et manifestations de Dieu sont déterminés en fonction des sastras, et non pas d’un quelconque vote du peuple arrangé par des fanatiques. Srî Caitanya est véritablement un avatara, mais dans l’âge de Kali, nombreux furent les imposteurs et les fanatiques qui créèrent leurs propres avataras, sans nulle référence aux Ecritures. Sarvabhauma Bhattacarya et Gopinatha Acarya n’étaient pas des pauvres d’esprit, ni des êtres frappés d’un sentimentalisme excessif; chacun essayait au contraire de prouver ses arguments en s’appuyant sur les sastras, sur les Ecritures faisant autorité en la matière.
Sarvabhauma Bhattacarya L’instruit
sur le Vedanta selon Sankaracarya
(pour lire le texte en entier voir chapitre 24,25 et 26 de » L’enseignement de Sri Chaitanya » )
Plus tard, il se révéla que le Bhattacarya était également originaire de la région de Navadvipa; lui-même laissa entendre que Nilambara Cakravarti, le grand-père maternel de Sri Caitanya, s’était trouvé être un compagnon de classe de son propre père. C’est pourquoi le jeune sannyasi suscitait chez lui des sentiments d’affection paternelle. Le Bhattacarya était le précepteur de plusieurs sannyasis dans la lignée de Sankaracarya (Sankara-sampradaya), à laquelle lui-même appartenait. En tant que tel, il voulut que le jeune sannyasi, Sri Caitanya, écoute Lui aussi ses enseignements sur le Vedanta.
Les adeptes du culte de Sankara sont généralement connu sous le nom de vedantistes, mais on ne saurait en conclure que la Sankara-sampradaya détienne le monopole du Vedanta. Le Vedanta a été étudié par toutes les sampradayas, mais chacune en donne sa propre interprétation. Et les maîtres de la Sankara-sampradaya sont connus pour ignorer généralement le savoir des vedantistes vaisnavas. C’est d’ailleurs pour cette raison que le titre de Bhaktivedanta nous fut d’abord conféré par la lignée des vaisnavas.
Sri Caitanya accepte donc d’entendre l’enseignement du Bhattacarya sur le Vedanta, et on les voit tous deux s’asseoir ensemble dans le temple de Jagannatha. Sept jours durant, sans s’arrêter, le Bhattacarya poursuit son exposé, que le Seigneur écoute avec grande attention, sans l’interrompre une seule fois. Son silence ne tarde pas à soulever certains doutes dans le coeur du Bhattacarya, lequel finit par interroger Caitanya. Pourquoi n’a-t-Il posé aucune question, ni fait aucune remarque sur ses explications du Vedanta ? Sri Caitanya proteste alors qu’Il fait un bien piètre disciple: Il a écouté les enseignements du Bhattacarya sur le Vedanta parce que ce dernier jugeait la chose comme allant du devoir d’un sannyasi, mais Il ajoute aussitôt qu’Il est en désaccord avec les vues exposées. Le Seigneur indiquait ainsi que les prétendus vedantistes appartenant à la Sankara-sampradaya, ou à toute autre sampradaya, doivent être considérés comme de simples techniciens du Vedanta s’ils ne suivent pas les instructions de son auteur même, de Srila Vyasadeva. A défaut, ils ne sauraient être pleinement éveillés au grand savoir vedantique. L’explication du Vedanta-sutra est donnée par l’auteur même de l’ouvrage dans son Srimad–Bhagavatam, et quiconque n’a pas percé le message du Srimad-Bhagavatam ne pourra que très difficilement pénétrer celui du Vedanta.
Sri Chaitanya, s’appuyant sur les Ecritures Védiques,
réfute sa présentation impersonnaliste
Le Bhattacarya, en savant érudit, peut saisir le trait sarcastique du Seigneur concernant le vedantiste populaire. Il lui demande donc pourquoi Il n’a posé nulle question sur les points inacceptables pour Lui. Le Bhattacarya peut comprendre la signification du profond silence observé par le Seigneur durant tous ces jours où Il l’a écouté. Sûrement Sri Caitanya garde autre chose à l’esprit, et c’est ce qu’il veut Lui faire dévoiler.
Sri Caitanya prend alors la parole: « Cher maître, lui dit-Il, Je comprends le sens des sutras (courts versets), du Vedanta, tel janmady asya yatah, sastra-yonitva ou athato brahma~jijnasa, mais lorsque vous les expliquez à votre façon, il Me devient difficile de les saisir. L’intention finale des sutras, les sutras la contiennent déjà et l’expliquent; mais vos commentaires les recouvrent de quelque chose d’étranger. Volontairement, vous refusez leur sens immédiat, auquel vous préférez une réflexion indirecte qui vous est propre. »
Le Seigneur attaque ainsi tous les vedantistes qui interprètent le Vedanta-sutra au goût du jour, selon la puissance limitée de leur intelligence personnelle, et afin de servir des fins qui leur sont particulières. Il condamne définitivement toute interprétation négligeant le sens direct d’Ecrits authentiques comme le Vedanta.
Sri-Caitanya poursuit: « Srila Vyasadeva a directement donné l’essence des mantras des Upanisads dans le Vedanta-sütra. Mais malheureusement, vous rejetez leur sens direct en les interprétant par quelque biais de votre façon. L’autorité des Vedas demeure immuable et s’élève au-delà de toute mise en question. Tout ce qu’on y trouve établi doit être accepté sans réserve; sinon, leur autorité se voit défiée. Si la conque et la bouse de vache, par exemple, bien qu’elles représentent respectivement l’os et l’excrément d’un animal, sont reconnues comme pures, c’est que l’autorité des Vedas a établi qu’elles sont pures. «
Il ne faut pas interpréter les Vedas mais les restituer fidèlement
Le principe est que nul, de sa raison imparfaite, ne peut surclasser l’autorité des Vedas. Les préceptes des Vedas doivent être observés à la lettre, sans spéculation aucune. De prétendus observants de la norme védique fabriquent leurs propres interprétations de cette norme et donnent ainsi naissance à de multiples sectes et groupements religieux qui se prétendent issus de la sectes et groupements religieux qui se prétendent issus de la tradition des Vedas. L’avatâra Bouddha, quant à lui, reniait directement l’autorité des Vedas, contre laquelle il établit sa propre religion. C’est pourquoi le bouddhisme n’est pas reconnu par les stricts adhérents à la norme védique. Mais les pseudo-adeptes des Vedas causent en fait plus de tort que les bouddhistes. Les bouddhistes ont au moins le courage de rejeter ouvertement les Vedas ! Sri Caitanya Mahaprabhu condamne donc tous ceux qui, respectant dans la forme l’autorité des Vedas, s’en écartent indirectement. L’exemple de la conque et de la bouse de vache, qu’Il utilise dans Sa démonstration, est des plus appropriés. On pourrait objecter que si les excréments de la vache sont purs, combien plus doivent l’être ceux d’un brahmana érudit ! Mais un tel argument ne tient pas devant les Vedas. La bouse de vache est reconnue pure mais pas les excréments du brahmana, si élevé soit-il; telle est la norme védique.
Le Seigneur reprend: « Les préceptes védiques puisent en eux-mêmes leur autorité, et si quelque esprit matérialiste tente d’interpréter les Vedas à sa manière, il défie par là même cette autorité. Quel insensé pourra se croire plus intelligent que Srila Vyasadeva ? Celui-ci s’est déjà clairement exprimé dans ses sutras; tout ce qu’apporteront des êtres moins éclairés que lui ne saurait en rien aider à leur compréhension. Son Vedanta-sutra brille avec autant d’éclat que le soleil du plein midi, et quiconque cherche à donner sa propre interprétation du radieux Vedanta-sutra ne peut qu’en voiler la lumière des nuages de son imagination.
« Le but que poursuivent les Vedas et les Puranas est le même. Ils révèlent la Vérité Absolue, qui est au-delà de toute chose. Cette Vérité Absolue, en dernière analyse, est réalisée comme la Personne Suprême et Absolue, Maître ultime de tout ce qui est. En tant que tel, l’Etre Divin doit posséder pleinement et parfaitement beauté, richesse, renommée, puissance, sagesse et renoncement. Cependant, il arrive, si étonnant que cela puisse paraître, que l’on trouve l’Etre Suprême décrit comme impersonnel. En réalité, si certaines parties des Vedas nous offrent une telle description, c’est uniquement dans le but d’anéantir tout concept matériel du Tout absolu. Car, les traits personnels du Seigneur Suprême diffèrent entièrement de tous les traits matériels s’offrant à notre expérience. Chaque être, vivant est une personne distincte, et fait partie intégrante du Tout Suprême, dont il constitue un simple fragment. Si les parties intégrantes du Tout sont des personnes individuelles, comment leur Source, le Tout duquel elles émanent et auquel elles appartiennent, pourrait-Il être impersonnel ? Le Tout est en vérité la Personne Suprême et Absolue, Souveraine parmi les êtres relatifs.
SUITE: La vie et l’enseignement de Sri Chaitanya Mahaprabhu 3/4
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