« De la servitude moderne »; un entretien sur le film (2/2)

De la servitude moderne

un entretien sur le film

(2/2)

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Un entretien avec Jagadananda das,

après le visionnement

« De la servitude moderne »  

un film de Jean Francois Brient

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REVUE DE LA PREMIÈRE PARTIE

Tristan Prévost: En introduction de son film Mr Brient affirme :

 » La servitude moderne est une servitude volontaire, consentie par la foule des esclaves qui rampent à la surface de la Terre. Ils achètent eux-mêmes toutes les marchandises qui les asservissent toujours un peu plus ».

Selon Mr Brient les marchandises, autrement dit les biens matériels, sont des facteurs d’asservissement…..

Jagadananda: Ce n’est pas tant les biens matériels en eux-mêmes que la convoitise que l’on manifeste pour eux qui asservit l’homme. On vient de dire que Krishna désignait la concupiscence comme le plus grand ennemi de l’homme (BG 3.37). Ainsi, l’attraît entre mâle et femelle, l’attraît sexuel, constitue le fondement même de notre attachement au monde matériel, c’est ce qu’explique merveilleusement le verset suivant du Srimad-Bhagavatam:

pumsaḥ striyā mithunī-bhāvam etaḿ
tayor mitho hṛdaya-granthim āhuḥ
ato grha-ksetra-sutāpta-vittair
janasya moho ‘yam ahaḿ mameti

L’attrait entre mâle et femelle constitue le principe fondamental de l’existence matérielle. Sur la base de cette conception erronée, qui enchaîne les coeurs, l’être développe une attirance pour son corps, son foyer, ses terres, ses enfants, ses proches et ses biens matériels. Il accroît ainsi ses illusions, pour ne plus penser qu’en fonction du « moi » et du « mien ».                                           

                            (Srimad Bhagavatam 5.5.8)

Ce verset important du Bhagavatam décrit l’attraît sexuel comme la cause fondamentale de notre asservissement au monde matériel. Sur la base de l’attachement sexuel tous les autres attachements se développent: l’attachement au corps, au foyer, à ses terres, sa nation, ses enfants, ses proches et ses biens matériels. La culture védique a pour but principal l’affranchissement de l’homme à l’asservissement au cycle des morts et des renaissances répétées (la libération ou mukti); autrement dit, cette culture est évoluée et éclairée car elle est d’une part, consciente de la conditon d’asservissement de l’homme, et, d’autre part, a pour but principal de l’en libérer. Dans cette perspective de libération la société du varnasrâma tend à limiter la promiscuité entre les sexes et ainsi, trois de ses quatres ashramas – brahmacarya, vanaprastha et sannyasa -,  restreignent les contacts intimes avec le sexe opposé. Tout cela est fait dans le but de développer sa conscience de Dieu ou conscience de Krishna, d’échapper aux morts et renaissances et d’atteindre le monde spirituel à la fin de sa vie.

Tristan Prévost:
Alors, selon l’enseignement de la conscience de Krishna, tout le monde devrait rester célibataire?

Jagadananda:
Non, pas du tout, il n’est pas nécessaire de rester célibataire toute sa vie pour devenir conscient de Krishna, et bien sûr, nombre de dévots optent pour la vie de famille. Mais quoiqu’il en soit, une formation d’étudiant-brahmacari est trés profitable, même dans le cas où l’étudiant adopte plus tard la vie mariée, car il aura alors acquis la formation spirituelle nécessaire pour se comporter en grihastha  responsable, plutôt qu’en grihamedhi négligent. Autrement dit, il s’efforcera même au sein de sa vie de famille, de développer sa conscience de Dieu, et d’aider sa femme et ses enfants à développer la leur (Tout comme l’épouse aussi pourra aider son mari et ses enfants à cultiver leur conscience de Krishna). D’autre part aussi, grâce à sa formation de brahmacari et à sa pratique spirituelle en tant que grihastha, il aura développer la force et la connaissance nécessaires pour entrer, dans la dernière partie de sa vie, dans le sannyasa-ashrâma, l’ordre du renoncement.

Tristan Prévost: C’est une sorte de retour aux sources ce sannyasa-ashrâma…

Jagadananda: En effet, la vie mariée est une forme de concession faite à ceux qui ne peuvent observer une vie de célibat dédiée pleinement au service de Krishna,  mais à partir de 50 ans, quand les enfants sont élevés, le dévot peut envisager d’adopter le vanaprastha puis le sannyasa. En adoptant ces deux ashrâms – vanaprastha et sannyasa- on diminue également considérablement le poids des obligations matérielles de la vie de famille.

Tristan Prévost: Dans le chapitre trois du film, Mr Brient aborde la question de l’aménagement du territoire et l’habitat; il dénonce l’urbanisation de notre époque:

 « À mesure qu’ils construisent leur monde par la force de leur travail aliéné, le décor de ce monde devient la prison dans laquelle il leur faudra vivre. Un monde sordide, sans saveur ni odeur, qui porte en lui la misère du mode de production dominant.

    Ce décor est en perpétuel construction. Rien n’y est stable. La réfection permanente de l’espace qui nous entoure trouve sa justification dans l’amnésie généralisée et l’insécurité dans lesquelles doivent vivre ses habitants. Il s’agit de tout refaire à l’image du système : le monde devient tous les jours un peu plus sale et bruyant, comme une usine.
   Chaque parcelle de ce monde est la propriété d’un État ou d’un particulier. Ce vol social qu’est l’appropriation exclusive du sol se trouve matérialisé dans l’omniprésence des murs, des barreaux, des clôtures, des barrières et des frontières… ils sont la trace visible de cette séparation qui envahit tout.
   Mais parallèlement, l’unification de l’espace selon les intérêts de la culture marchande est le grand objectif de notre triste époque. Le monde doit devenir une immense autoroute, rationalisée à l’extrême, pour faciliter le transport des marchandises. Tout obstacle, naturel ou humain doit être détruit.
 L’habitat dans lequel s’entasse cette masse servile est à l’image de leur vie : il ressemble à des cages, à des prisons, à des cavernes. Mais contrairement aux esclaves ou aux prisonniers, l’exploité des temps modernes doit payer sa cage. »

Jagadananda : On voit ici une description d’un milieu sordide, d’un milieu fortement urbanisé. Pour cela, il emploie des termes négatifs suggestifs: « prison », « sale », « bruyant », »usine », »murs », « barreaux », « clôtures », « barrières », »cage ». C’est un fait que le milieu urbain est plus stressant pour l’être humain que le milieu rural, et si celui-ci s’est développé au dépend du milieu rural c’est que les gouvernements modernes successifs ont oeuvrés dans ce sens. Et cela, dans le but d’orienter l’économie du pays vers la course à la croissance économique. Cela a commencé au XIXème siècle avec la révolution industrielle . J’ai défini, de façon succincte, le caractère malsain d’une politique économique industrielle et technologique dans mon article « Des solutions pour remédier au désastre écologique » ; cette politique qui est à l’origine même d’une urbanisation  outrancière. Pour en comprendre l’ampleur, il suffit de savoir, à propos de l’urbanisation (relevé dans wikipédia) « qu’en 1800, à peine 3 % de la population mondiale vivait en ville, contre 15 % en 1900, 50% vers l’an 2000, et au rythme actuel 65% de la population sera urbaine en 2025, et plus de 80 % dans de nombreux pays « .

Tristan Prévost: Il semble que Mr Brient présente l’appropriation exclusive du sol, autrement dit, la propriété privée, comme un vol.

Jagadananda: Le sentiment de propriété est en effet illusoire car personne, hormis Krishna, Dieu, la Personne Suprême, ne possède vraiment quoique ce soit; nous venons en ce monde les mains vides et nous repartons les mains vides, et entre temps chacun pense: « Voici ma maison, voici ma propriété, voici ma famille, etc.. ». Le premier mantra de la Sri Isopanisad exprime clairement la réalité des choses concernant la propriété: ishâvâsyam idam sarvam, « De tout ce qui existe le Seigneur est Maître et Possesseur » . Ce mantra ajoute  » Nous ne devons donc user que du nécessaire et ne prendre que la part qui nous est assignée, sachant bien à qui tout appartient. » Ainsi, bien que Krishna étant à l’origine de la création et du maintien comme de la destruction de la nature matérielle, puisse Seul se réclamer d’être le propriétaire du monde et de l’entière création cosmique (sarva loka maheshvaram), Il n’en assigne pas moins à chacun de nous – ses enfants – sa part. Le problème est que l’être humain dans sa cupidité cherche à posséder plus qu’il lui revient. On l’a bien vu dans la crise économique mondiale actuelle sans précédent, qui a littéralement ébranlée l’équilibre économique mondiale; le problème est que certains cherchent à accumuler indument des fortunes sur le dos des autres. L’effondrement de l’économie a été provoquée en premier chef par une spéculation financière outrancière orchestrée par les banques. Celles-ci ont, à l’origine, pour vocation première, le financement de l’économie des nations, mais,  par cupidité, elles se sont détournées de cette fonction et cherchent depuis trop longtemps déjà à accumuler des milliards par le moyen de la spéculation financière effectuée indument sur le dos des gens qui travaillent. Elles se sont transformées ainsi en véritables casinos.

La cupidité provient d’une conscience matérialiste -à l’opposé d’une conscience spirituelle, la conscience de Krishna -, et est engendrée par l’ignorance. Quelle est cette ignorance? Celle de se croîre le propriétaire du monde. Sur la base d’une telle conception erronée, certains se croît permis de disposer des richesses du monde comme bon leur semble, de s’enrichir outre mesure (et il ne s’agit pas seulement que des banquiers et de leurs traders). Ils oublient complètement que cette richesse n’est pas la leur mais appartient à Dieu ishâvâsyam idam sarvam. Krishna désire que tous les êtres vivants -ses enfants-, profitent également de cette richesse et puissent l’utiliser pour assurer leur subsistance. Mais l’homme actuel, l’homme de l’âge de Kali, dominé par la passion et l’ignorance, est avide et égoiste de nature ; il n’en a que faire, si, pendant que lui se vautre dans l’opulence, ses semblables, eux, n’ont même pas de quoi assurer convenablement leur subsistance. Ce que ne savent pas ces brigands en col blanc est que les lois de la nature- les lois du karma -, sont intransigeantes. Ainsi, si dans cette vie quelqu’un jouit d’une position privilégiée et confortable en accumulant indument des richesses, dans sa prochaine vie, pour avoir accompli des activités pécheresses (karma) il devra naître à son tour, pauvre et démuni, souffrant de la faim et de la misère; comme en Afrique, par exemple, ces pays démunis, que les spéculateurs financiers affaiblissent toujours plus. Telle est ainsi l’ignorance: ne pas comprendre que chacun de nos actes actuels a des conséquences directes sur notre vie future.

Tristan Prévost:
Dans le chapitre suivant le film aborde la question de l’asservissement aux marchandises, autrement dit, aux produits commerciaux manufacturés:

Et c’est dans ce logis étroit et lugubre qu’il entasse les nouvelles marchandises qui devraient, selon les messages publicitaires omniprésents, lui apporter le bonheur et la plénitude. Mais plus il accumule des marchandises et plus la possibilité d’accéder un jour au bonheur s’éloigne de lui.

« A quoi sert à un homme de tout posséder s’il perd son âme. »       Marc 8 ; 36

La marchandise, idéologique par essence, dépossède de son travail celui qui la produit et dépossède de sa vie celui qui la consomme. Dans le système économique dominant, ce n’est plus la demande qui conditionne l’offre mais l’offre qui détermine la demande. C’est ainsi que de manière périodique, de nouveaux besoins sont créés qui sont vite considérés comme des besoins vitaux par l’immense majorité de la population : ce fut d’abord la radio, puis la voiture, la télévision, l’ordinateur et maintenant le téléphone portable.

Toutes ces marchandises, distribuées massivement en un lapse de temps très limité, modifient en profondeur les relations humaines : elles servent d’une part à isoler les hommes un peu plus de leur semblable et d’autre part à diffuser les messages dominants du système.Les choses qu’on possède finissent par nous posséder.

Jagadananda: « ..Il entasse les nouvelles marchandises qui devraient, selon les messages publicitaires omniprésents lui apporter le bonheur et la plénitude. Mais plus il accumule des marchandises et plus la possibilité d’accéder un jour au bonheur s’éloigne de lui. » Ces paroles sont chargées de sens; elles définissent bien l’axe principal autour duquel tourne toute l’économie moderne : la production et la consommation importantes de produits manufacturés. C’est tellement vrai que dès que la cadence production/consommation ralentit, on brandit la menace du chômage et du déficit budgétaire.  Autrement dit, les hommes sont devenus les esclaves d’une économie productiviste, et ainsi beaucoup sacrifient leur santé physique, mental et spirituelle sur l’autel du dieu de la croissance économique.

Notre société moderne a détourné l’être humain de sa vraie richesse, la richesse intérieure, et l’homme recherche désespérément à combler le terrible manque qu’il ressent – dû à ce détournement – à travers l’épanchement de sa concupiscence c’est-à-dire l’acquisition de biens matériels et la satisfaction des sens. Le tragique est que l’on incite constamment les gens à augmenter artificiellement leurs besoins matériels et on les rend ainsi de plus en plus dépendants.

Tristan Prévost:  Vous dites que l’on a détourné l’homme de sa vrai richesse, de sa richesse intérieure?

Jagadananda:
En effet, pratiquement tous les hommes actuellement ignorent quel est leur vrai soi; ils se méprennent sur leur identité réelle, en identifiant faussement leur soi avec leur corps matériel. Le soi c’est tout simplement « moi-même », « ma personne », « ce que je suis », et ce soi est souvent confondu avec le corps matériel. Qui suis-je? Telle devrait-être la première question auquelle l’éducation devrait répondre, mais malheureusement, tel n’est pas le cas. La réponse à cette question est fondamentale et essentielle pourtant, car sans elle tout ce que l’on fait est voué à l’échec (SB 5.5.5). Malheureusement, on n’aborde jamais ces questions spirituelles fondamentales dans nos sociétés matérialistes, et à l’opposé, tout est fait pour consolider l’ignorance des gens et renforcer leur identification avec le corps matériel et tout ce qui y est relié (aham mameti). Un consommateur ignorant impulsif est bien plus intéressant pour la société de consommation actuelle qu’un dévot éclairé et maître de lui. Et la plus grande tragédie dans tout cela est que la majorité des gens passent toute leur vie à côté de leur richesse intérieure. C’est aussi dramatique comme situation que celle d’une personne qui aurait vécu en SDF toute sa vie durant sans savoir qu’elle avait hérité d’une fortune, qui, non seulement, l’aurait sortie complètement de la misère,  mais de plus, lui aurait permi de jouir véritablement de l’existence. Notre position dans l’existence matérielle est comparable à celle de ce SDF millionnaire; nous avons hérité d’une richesse considérable et nous ne l’utilisons pas.

Tristan Prévost:
Mais quel est ce soi et cette richesse intérieure dont vous parlez ?

Jagadananda: Dans les Ecritures védiques on nomme le soi, l’âtmâ, et il désigne l’âme spirituelle. Cette âme n’a rien d’abstrait et de conceptuel; elle est directement « moi-même ». Elle est par nature sac-cid-ananda, c’est-à-dire éternelle, remplie de connaissance et de félicité, quand le corps, lui, est une masse d’ignorance, et, est éphémère et source de souffrances.

Tristan Prévost: Si, comme vous dites l’âme est « moi-même », comment se fait-il que je ne la vois pas?

Jagadananda: Si on ne la voit pas – à cause de nos sens matériels limités-, on peut tout de même en percevoir la présence. On peut rappeler qu’il existe des tas de choses que l’on ne peut pas voir mais qui n’en sont pas moins bien réelles, comme l’air et les ondes accoustiques et électromagnétiques par exemple.

Tristan Prévost: Et comment perçevoir l’âme ?

Jagadananda:
C’est trés simple, si l’on ne peut présentement voir l’âme car nos sens de perception matériels sont trop limités, on peut tout de même la percevoir à travers sa manifestation externe: la conscience. La conscience est une manifestation de l’âme. La Bhagavad-gita oriente notre compréhension de l’âme ainsi:

avināśi tu tad viddhi
yena sarvam idaḿ tatam
vināśam avyayasyāsya
na kaścit kartum arhati

« Sache que ne peut être anéanti ce qui pénètre le corps tout entier (la conscience). Nul ne peut détruire l’âme impérissable. »
Bhagavad-gita 2.17

La conscience qui « pénètre le corps tout entier » n’est pas d’origine matérielle mais spirituelle. La preuve est que, privé de conscience, le corps n’est plus qu’un objet sans vie. Autrement dit, la conscience n’est pas un produit de la matière, elle n’est pas le résultat d’une combinaison chimique, ou, pour faire référence aux théories évolutionnistes, elle n’est pas apparue à la suite d’une lente évolution de la matière.  Sa constitution n’a rien à voir avec la matière; elle est de nature purement spirituelle et transcendante. L’âme survit au corps ; elle est éternelle et ne meurt pas avec le corps (BG 2.20)

Tristan Prévost: Vous dites que l’âme est la conscience sont une même chose, et qu’elle est de nature purement spirituelle, et pourtant la conscience de l’homme est loin d’être spirituelle et pure …

Jagadananda: En effet, la conscience bien que de nature purement spirituelle, au contact de la matière, devient souillée. On peut la comparer à de l’eau polluée. L’eau par nature est pure et transparente mais lorsque, par exemple, elle vient au contact de la terre, elle perd sa qualité de pureté et de transparence, et devient boueuse. De la même façon, l’être vivant à l’origine possède une conscience pure et immaculée, mais au contact de la matière, et plus spécifiquement des trois gunas – la passion, l’ignorance et la vertu -, celle-ci devient souillée c’est-à-dire qu’elle devient passionnée, ignorante ou vertueuse. Tout comme l’eau qui peut,  en lui appliquant un traitement appropriée, être ramenée à son état originelle de pureté, la conscience de l’individu peut être ramenée à sa pureté constitutionnelle: c’est ce qu’on appelle la conscience de Krishna.

Tristan Prévost:
Pour reprendre le sujet de la richesse intérieure; prendre conscience de notre richesse intérieure n’est-ce pas prendre conscience de notre vrai nature, notre nature d’âme spirituelle?

Jagadananda: Oui, certainement, mais pas uniquement. En terme védique on appelle cette prise de conscience « aham brahmasmi«  ; ce qui signifie littéralement « je suis brahman, une âme spirituelle », distincte de mon corps matériel (corps matériel grossier et corps matériel subtil). Elle constitue en soi une première étape dans la réalisation spirituelle mais il faut pour que cette réalisation soit complète et parfaite qu’elle associe, Dieu, l’Âme Suprême à cette réalisation.

Cette richesse intérieure consiste à réaliser que Dieu, en tant qu’Âme Suprême, est présent dans mon coeur et qu’Il est témoin et superviseur de tous mes actes. Pour être clair et précis; il existe deux âmes dans le coeur.  La première est Dieu, l’Âme Suprême ou Paramâtma, et l’autre « le soi » ou « l’âme infinitésimale » (1). Autrement dit,  pour exprimer les choses simplement, ma richesse intérieure c’est ma conscience de Dieu ou conscience de Krishna. Lorsque je réalise que Dieu est présent dans mon coeur et qu’un lien fort d’amitié me lie à Lui, je devient alors complètement soulagée de toute angoisse matérielle, conscient de mon heureuse fortune, et emplie de félicité spirituelle (voir Particularités du pur service de dévotion).

Tristan Prévost:
Pour revenir aux thèmes soulevés précédemment, l’avidité, l’accumulation des biens matériels, la détresse de l’homme moderne, quel rapport tout cela a-t’il avec les sujets de l’âme et de Dieu dont vous venez de parler?

Jagadananda: Un rapport directe, car en ignorant tout de son identité spirituelle, du lien d’amour éternel qui le lie à Dieu, et de la pratique pour rétablir ce lien, le bhakti-yoga, l’homme demeure frustré et insatisfait, et essaie vainement de combler ce manque dans les plaisirs illusoires qu’offre le monde matériel. Pour expliquer clairement ce fait, utilisons une analogie assez rudimentaire mais si éloquente. Il s’agit de l’analogie du conducteur et de sa voiture. Considérons que la voiture représente le corps et le conducteur du véhicule, l’âme. Peut-on nourrir le conducteur du véhicule (l’âme), comme on « nourrit » le véhicule (le corps) ? Non, assurément pas. Au véhicule on donnera de l’essence, de l’huile de moteur, du liquide de refroidissement, et le passager comme on le sait ne se nourrit pas du tout de la même façon, autrement dit, ses besoins ne sont pas les mêmes et confondre les deux entrainera des conséquences fatales. Cette analogie de la voiture et du conducteur est, on en convient,  plutôt rudimentaire et caricaturale, mais elle dépeint trés bien la situation pathétique de l’homme moderne. Il ne nourrit pas son âme, ou lui offre des nourritures tout à fait dommageables pour elle.

Tristan Prévost: Quelles sont « ces nourritures dommageables » pour elles ?

Jagadananda: Hé bien, je pense particulièrement aux quatre activités prohibées pour qui désire avancer sur la voie de la réalisation spirituelle: l’intoxication, le sexe illicite, les jeux de hasard, la consommation de viande. On ne va pas ici passer en revue tous les effets néfastes engendrés par ces quatre activités, tout le monde en a déjà une certaine idée.

Tristan Prévost:
Pourquoi alors, si elles sont mauvaises pour lui, l’homme s’adonne-t’il malgré tout à ces quatre activités ?

Jagadananda: 
La nature de l’âme est de rechercher le plaisir (ananda) et lorsqu’elle est incarnée cette tendance se manifeste à travers kâma, la recherche du plaisir des sens. C’est pourquoi, comme on l’a déjà dit avant, une éducation spirituelle est nécessaire ; ainsi, dès le plus jeune âge  le jeune brahmacari est éduqué dans la maîtrise des sens et du mental grâce à l’engagement de ceux-ci dans la pratique du bhakti-yoga. Et cela n’est pas difficile car l’étudiant obtient grâce à cette pratique un plaisir spirituel supérieur ( paraḿ dristvā nivartate) au plaisir matériel.

Tristan Prévost: Pour revenir au thème initial de la discussion – le fait que l’homme moderne accumule inutilement des biens et des richesses,  et s’éloigne ainsi du vrai bonheur ….

Jagadananda: Sur ce sujet, il existe des instructions précieuses dans le nectar de l’instruction de Srila Rupa Gosvami: il ne faut pas chercher à accumuler trop de biens matériels et de richesses (atyâhâra) – c’est-à-dire au-delà de ce qui est vraiment nécessaire pour sa subsistance -, sinon, cette avidité entraînera un vain labeur (prayâsa). Ainsi, si l’on accroît sans nécessité des biens matériels on devra travailler trés dur pour les acquérir et les entretenir, et il ne restera plus de temps pour cultiver notre richesse intérieure, notre conscience de Krishna , à travers l’écoute, sravanam, le chant, kirtanam, le souvenir, smaranam, etc.. Dans l’extrait suivant du commentaire du nectar de l’instruction, verset deux, par Srila Prabhupada, tout cela est clairement exprimé:

Atyâhâra, le désir d’accumuler des richesses,  provoque prayâsa, un vain labeur.

….De ces déboires, le principale auquel se heurte l’âme conditonnée réside en la répétition des naissances, de la maladie, de la vieillesse et de la mort. Mais il lui faut aussi, pendant son séjour en ce monde, satisfaire aux besoins du corps; or, comment y parvenir, et de manière à favoriser l’épanouissement en soi de la conscience de Krishna? L’homme requiert, pour subsister, des aliments végétaux, des vêtements, de l’argent, etc...mais il ne lui faut jamais amasser plus que l’essentiel. Celui qui observe ce principe naturel n’éprouvera aucun mal à répondre aux besoins du corps.

De par les lois naturelles, jamais les êtres appartenant aux espèces inférieures dans l’échelle de l’évolution ne mangent ni n’amassent plus qu’il ne leur est nécessaire. Ainsi ne trouve-t’on parmi eux nulle carence. Pour eux, le problème économique ne se pose pas. Si on laisse un sac de riz sur la voie publique, les oiseaux viendront en manger quelques grains et repartiront ensuite. Un homme, lui, prendra possession du sac entier, mangera autant de riz que son estomac peut en contenir et gardera le reste en réserve. Les Ecritures condamnent un tel comportement (atyāhāra), et enjoignent à l’homme « de ne pas entasser plus qu’il ne faut ». C’est parce qu’il a manqué à cette règle que le monde aujourd’hui connaît la souffrance.

Le désir d’amasser et manger plus que nécessaire engendrera par ailleurs un vain labeur (prayāsa). Dieu a fait en sorte que tout homme puisse vivre paisiblement, en toute région du monde, pourvu qu’il ait à sa disposition une parcelle de terrain et une vache laitière. Il ne lui est nullement nécessaire de se déplacer sans fin pour assurer sa subsistance, puisque, là où il se trouve, la terre et la vache peuvent réunies lui fournir tous ses aliments. Telle est la solution, à tous les problèmes économiques. L’homme se voit, parmi les êtres, béni d’une intelligence supérieure, afin qu’il puisse développer sa compréhension de Dieu, renouer son lien avec Lui, et ainsi atteindre le but ultime de l’existence: le pur amour de Dieu. Hélas, l’homme « civilisé », oublieux de la réalisation spirituelle, use de son intelligence à seule fin d’entasser des biens superflus et ne mange que pour satisfaire sa langue. Par la volonté de Dieu, l’homme n’a aucun mal à produire lait et céréales en quantité suffisante pour nourrir la terre entière; mais plutôt que d’utiliser son intelligence supérieure en vue de développer sa conscience de Dieu, il en mésuse, et l’emploie à créer l’inutile, l’indésirable. D’où les usines,les abattoirs, les maisons de prostitution, les débits de boissons alcooliques, etc…Lorsqu’on donne au matérialiste moderne le conseil de ne pas entasser trop de biens, de ne pas manger trop ou de ne pas s’engager en un vain labeur, en vue d’un confort artificiel, il pense aussitôt qu’on lui demande de régresser, de vivre comme un primitif. C’est qu’en règle générale, les hommes ne chérissent guère l’idée d’une vie simple vouée à de hautes pensées. Telle est leur infortune.La vie a pour but la réalisation de Dieu; voilà pourquoi l’homme est doté d’une intelligence supérieure. Et les hommes qui l’ont compris ont le devoir de mettre en pratique les enseignements des Ecritures védiques. Car, celui qui applique ces enseignements sous la direction d’une autorité en la matière peut gagner de s’établir dans le parfait savoir, donnant ainsi à sa vie un sens réel.

Extrait de la teneur et portée du nectar de l’instruction

« Les six activités nuisibles au service de dévotion« 

 
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LIEN VIDEO  « De la seervitude moderne 3/4  » http://youtu.be/ndD4kqOYfxc

LIEN VIDEO  « De la seervitude moderne 3/4  »  http://youtu.be/Q0B-d7XKrLc

Article dans retourakrishna en relation avec le sujet abordé: « Pas le moral; rien d’étonnant! »
(1) L’âme est désignée comme « infinitésimale » car sa dimension par rapport à l’Âme Suprême est trés petite. Le passage suivant de la Bhagavad-gita l’établit trés bien:

Chaque corps est donc l’enveloppe charnelle d’une âme distincte, perceptible à travers la conscience individuelle, sa manifestation extérieure.

La Svetasvatara Upanisad nous révèle même les dimensions de l’âme: un dix-millième de la pointe d’un cheveu:

« Lorsque l’on sépare la pointe d’un cheveu en cent parties, qu’on divise à leur tour en cent parties, on trouve la mesure de l’âme. »

Le Srimad-Bhagavatam confirme cette description:

« Il existe d’innombrables atomes spirituels, ayant chacun la taille d’un dix-millième de la pointe d’un cheveu. »

L’âme distincte est donc un atome spirituel, plus fin que les atomes matériels. Et il existe un nombre infini de ces atomes spirituels.

                           Bhagavad-gita, extrait de la teneur et portée du verset 2.17



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