Une conversation entre
Jagadananda das et Tristan Prévost
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T H È M E S A B O R D É S
CINQUIEME PARTIE
Le véritable plaisir est au niveau spirituel
Tristan Prévost : Doit-on vivre alors comme un ascète, sans plaisir ?
Jagadananda : Non, c’est impossible de vivre sans plaisir ; c’est la nature même de l’âme de rechercher le plaisir (1). Mais quelles sortes de plaisir doit-on rechercher ? Là est toute la question. Réalisant que notre condition actuelle est une condition maladive – celle de rechercher du plaisir dans l’assouvissement des sens grossiers -, on doit aspirer sincèrement à guérir de nos mauvaises propensions. Quelles sont-elles ? On les regroupe sous quatre catégories : les propensions à s’intoxiquer (alcool, cigarettes et autres drogues), à manger de la viande, à s’adonner au sexe illicite et en quatrième lieu, à pratiquer les jeux de hasard. On peut regrouper ces quatre catégories de plaisirs, sous le label « faux plaisirs », ou plaisirs indésirables (anarthas). Pourquoi « faux plaisirs » ? Parce qu’ils n’apportent pas de réelle satisfaction à l’âme, notre réelle nature, mais, au contraire, l’asservisse à la matière et lui infligent des souffrances multiples. Ces anarthas constituent de véritables obstacles à la réalisation spirituelle et s’érigent en barrières sur le sentier du plaisir spirituel infini :
« Dans cette forme humaine, mes chers fils, nulle raison de peiner pour la jouissance de la chair, que partagent même les porcs, ces mangeurs d’excréments. Combien préférable, en cette vie, de pratiquer l’austérité pour se purifier et goûter ainsi une félicité parfaite et sans bornes. » Voir (Srimad-Bhagavatam 5.5.1)
L’austérité dont il est question ici correspond à la maîtrise des sens, au rejet des faux plaisirs dont on vient de parler. Mais si l’austérité s’applique dans la restriction, elle s’applique également dans la prescription. Cette prescription consiste à appliquer les principes essentiels du bhakti-yoga.
Tristan Prévost : Nombreux sont ceux qui pensent qu’avec les différentes contraintes restrictives et prescriptives qu’il doit suivre, la vie d’un dévot de Krishna doit être difficile et astreignante…
Jagadananda : Non, il ne faut pas voir les choses ainsi. Il faut noter que le processus du bhakti-yoga, pour être effectif, ne peut être imposé par la contrainte ; il doit faire partie d’une démarche volontaire de la part de l’aspirant-dévot. Il faut comprendre tout l’avantage que l’on a à contrôler ses sens pour développer sa conscience de Krishna. Dans le cas contraire on risque plutôt d’agir dans la contrainte et la douleur. Trois principes sont ainsi essentiels pour contrôler sa sexualité : l’enthousiasme, la conviction et la détermination.
Cette conviction et détermination, rare sont ceux qui la possèdent dès la jeunesse. C’est pourquoi il est nécessaire, pour la plupart d’entre nous, de passer, comme la société du varnashram dharma le préconise, à travers les différentes étapes de la vie sociale, les différents ashrams, pour l’acquérir. Il est ainsi fortement recommandé à la majorité d’entre nous, de passer à travers l’expérience du mariage plutôt que d’accéder directement à l’étape du renoncement -le sannyasa-.
Il est possible que la voie du bhakti-yoga apparaisse un peu contraignante et austère, au début, pour un néophyte. Mais, s’il est enthousiaste, sincère et déterminé, le pratiquant, même néophyte, ne tardera pas à ressentir du plaisir, et même de l’extase, dans sa pratique spirituelle de la conscience de Krishna.
Tristan Prévost : Comment obtient-on le plaisir spirituel, l’extase, dont vous venez de parler ?
Jagadananda : On l’obtient au contact de Krishna. Nous sommes des âmes déchues qui avons quitté la compagnie du Seigneur pour venir dans le monde matériel afin d’y devenir des « dieux de substitution ». En nous coupant du Seigneur Suprême, nous sommes, du même coup, tombés sous l’emprise de Son énergie illusoire, mâyâ.
Mâyâ n’a, comme on l’a déjà dit, que de faux plaisirs à proposer, axés et limités uniquement à la jouissance des sens et du mental matériels. Les sens, comme le mental matériels n’ayant que des plaisirs limités à nous offrir, – contrairement à l’âme -, engendrent immanquablement déception et frustration.
Autrement dit, dès que l’on tombe sous l’emprise de mâyâ, on se coupe, en même temps, du véritable plaisir ; du plaisir que l’on obtient qu’au contact de l’âme. Cette âme étant partie intégrante et parcelle de Krishna, Dieu, l’Âme Suprême, on ne peut connaître le véritable plaisir ou l’extase spirituelle qu’à Son contact. Toute la pratique du service de dévotion consiste à raviver son lien d’amour originel avec l’Être Suprême, l’infiniment fascinant, la source et l’origine de l’amour authentique et extatique, Sri Krishna.
Srila Rupa Gosvami, une grande autorité dans la pratique du service de dévotion, désigne dans son nectar de la dévotion (Ch.13), parmi toutes les pratiques dévotionnelles du bhakti-yoga, les cinq plus puissantes:
- Résider à Vrindavana (2)
- Adorer la Murti du Seigneur
- Réciter le Srimad-Bhagavatam
- Servir les bhaktas
- Chanter le maha-mantra Hare Krishna
Il affirme que ces cinq principes recèlent tant de puissance spirituelle, qu’un attrait léger, pour l’un ou l’autre d’entre eux, suffit à provoquer, même chez un néophyte, l’extase dévotionnelle.
Le meilleur moyen de raviver son amour de Dieu est de chanter et d’écouter les saints noms de Dieu : Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare Râma Hare Râma Râma Râma Hare Hare.
Quand il chante le maha-mantra le dévot du Seigneur est en contact direct avec la source de plaisir, Krishna, à travers la vibration de Ses noms Krishna et Râma. La vibration des saints noms de Dieu n’est pas différente de Lui-même. C’est ainsi que lorsque l’on chante Hare Krishna, ON EST en la présence de Krishna (3).
Krishna signifie « l’infiniment fascinant », et à Vrindavana, la demeure éternelle du Seigneur, tous les êtres sont spontanément attirés par Lui. Dans le Mahabharata il est dit :
» Le mot krish représente l’aspect fascinant de l’existence du Seigneur, et na signifie le plaisir spirituel. Lorsque le verbe krish est ajouté à l’affixe na, on obtient Krishna, qui indique la Vérité Absolue. «
Quant au nom Râma il signifie aussi « plaisir spirituel » :
ramante yogino’nante satyânanda-cid-âtmani
iti-râma-padenâsau param brahmâbhidhîyate
« Dieu, la Personne Suprême, la Vérité Absolue, on L’appelle aussi Râma, car Il prodigue à tous les spiritualistes une joie spirituelle sans limite. » – Padma Purâna –
Le mot Hare est la forme vocative de Harâ, qui représente l’énergie du Seigneur, Sa puissance de félicité , Radha. Cette énergie de félicité nous aide à atteindre le Seigneur, c’est pourquoi, elle est placée avant Krishna, « Hare Krishna ».
Donc, comme vous le voyez, ne serait-ce qu’avec le chant du maha-mantra, (et sans parler des autres activités dévotionnelles, entre autres celles soulignées par Rupa Gosvami), la vie du dévot est loin d’être dépourvue de plaisir.
Certains rejettent Krishna, pourquoi ?
Tristan Prévost : Vous avez dit que le nom de Krishna signifie « l’infiniment fascinant », mais tout le monde n’est pas attiré par Lui….
Jagadananda : En tout cas, dans le monde spirituel, c’est le cas, mais, dans le monde matériel, dû au fait que les âmes conditionnées qui y habitent, sont, pour beaucoup, dans la position de la main envieuse de l’estomac (dont on parlait précédemment), les choses sont différentes.
Tout comme on envoie en prison, les personnes réfractaires à l’autorité du gouvernement et qui n’hésitent pas ainsi à violer les lois établies, les âmes incarnées qui, à l’origine, appartiennent au monde spirituel, sont envoyées dans le monde matériel, parce qu’elles sont devenues envieuses du Seigneur.
Et, dès l’instant où l’on envie Krishna, on est entraîné dans la vie matérielle, centrée sur le plaisir des sens et la spéculation mentale, et l’on devient alors incapable de Le voir et de L’apprécier tel qu’Il est. C’est ainsi que Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ :
« Je ne Me montre jamais aux sots ni aux insensés (qui font du plaisir des sens, l’objectif premier de leur vie) ; par Ma puissance interne [yoga-maya], Je suis pour eux voilé. Ce monde égaré ne Me connaît donc point, Moi le Non-né, l’Impérissable. Voir Bhagavad-gita 7.25
« Les sots Me dénigrent lorsque sous la forme humaine Je descends en ce monde. Ils ne savent rien de Ma nature spirituelle et absolue, ni de Ma suprématie totale. » Voir Bhagavad-gita 9.11
La Bhagavad-Gîtâ précise qu’il existe quatre sortes de personnes démoniaques hostiles à Dieu et qui demeurent ainsi incapables de Le connaître et de s’abandonner à Lui :
« Les sots, les derniers des hommes, ceux dont le savoir est dérobé par l’illusion, les démoniaques, – ces mécréants ne s’abandonnent pas à Moi. »
Voir Bhagavad-gita 7.5
Tristan Prévost : Comment peut-on vraiment connaître Krishna ?
Jagadananda : La haine ou l’hostilité vis-à-vis de quelqu’un ne permettent pas de le voir, de le comprendre tel qu’il est. La haine et l’envie rendent aveugles.
Tristan Prévost : On dit la même chose de l’amour.
Jagadananda : On parle alors de l’amour passion, mais pour les autres formes d’amour, c’est différent. Dès que l’on développe un peu d’amour pour quelqu’un, on le comprend mieux. C’est la même chose vis-à-vis de Krishna ; dès l’instant où l’on développe son amour pour Lui, tout s’éclaire :
« A travers le service de dévotion, et seulement ainsi, on peut Me connaître tel que je suis. Et l’être qui, par une telle dévotion, devient pleinement conscient de Ma Personne, entre alors en Mon Royaume absolu. » Voir Bhagavad-gita 18.55
Il est dit dans la Brahma-samhita que seul celui dont le cœur est enduit du baume de l’amour -le pur bhakta – est en mesure de percevoir et d’apprécier Syamasundara (Krishna) tel qu’Il est :
« J’adore Govinda, le Seigneur originel, qu’on nomme Syamasundara. Il est Krsna Lui-même, et Ses innombrables Attributs restent inconcevables; c’est Lui que voient au fond de leur coeur les purs bhaktas dont les yeux sont oints du baume de l’amour et de la dévotion. » BS.5.38
L’amour sans Krishna n’existe pas
Tristan Prévost : Vous ramenez toujours l’amour à Krishna, mais l’amour existe tout de même sans Krishna, qui peut le nier ?
Jagadananda : Non, rien n’existe sans Krishna, penser autrement c’est être influencé par l’illusion ou mâyâ. Tout est Son énergie. Tout est en Krishna, et Krishna est en tout. C’est une question de réalisation, de conscience, et c’est ce que l’on appelle à proprement parler la « conscience de Krishna ». Comme la Bhagavad-gita l’enseigne, l’air que l’on respire, l’eau que l’on boit, la terre qui nous nourrit,…tout provient de Krishna et représente son énergie personnel (Bhagavad-gita 7.4). Notre père, notre mère, nos frères, nos sœurs, nos amis, tous les êtres qui nous sont chers, sont tous des parcelles (infimes) de Krishna . Ils représentent donc Krishna (Bhagavad-gita 9.17).
Tout ce qui existe émane de Lui, est maintenu par Lui et à la fin se résorbe en Lui (sous Sa forme de Maha-Visnu). D’autre part, Krishna, dans sa forme de Paramatma (Ksîrodakashâyî Visnu) habite le cœur de chaque être vivant, (et pénètre même au cœur de chaque atome) et de Lui viennent le souvenir, la connaissance et l’oubli. Comment dès lors croire que l’amour existe hors de Lui ?
Si l’amour semble exister hors du Seigneur cela est dû à l’action de Son énergie d’illusion, mâyâ. L’amour qui existe hors de la conscience de Krishna, n’est qu’une réflexion pervertie et imparfaite de l’amour. Tout comme la réflexion d’un arbre fruitier dans l’eau ne permet pas de goûter aux fruits de cet arbre, l’amour dans le monde matériel ne permet pas de savourer l’amour véritable, l’amour de Dieu ou prema.
Quand tous les êtres résidant dans le royaume spirituel sont animés d’un profond amour pour Dieu, dans le monde matériel, il en est bien autrement. Comment les êtres incarnés plongés dans l’oubli de Krishna pourraient-ils L’aimer ?
Mais comme personne ne peut vivre sans amour, chacun reporte celui-ci sur son corps et les expansions de son corps : sa famille, sa femme, ses enfants, sa patrie, sa religion, etc…mais le fait est que tous ses objets d’amour ne peuvent remplacer le Suprême Objet d’amour, Krishna .
J’ai publié, il y a quelques temps déjà, dans retour-a-krishna, un article qui traitait de ce sujet, intitulé Krishna, le Suprême Objet d’amour. Cet article reprend un verset éloquent du Srimad-Bhagavatam :
« Je (Krishna) suis l’Âme Suprême, l’Âme de tous les êtres, le maître suprême et le plus cher entre tous.Les hommes s’attachent à tort aux corps grossier et subtil, quand en vérité ils ne devraient s’attacher qu’à Moi seul.» SB 3.9.42
SUITE: Amour, sexe, et illusion (6/6)
1) La nature de l’âme est sac-cid-ananda, elle est éternelle, pleine de connaissance et de félicité
2) Si l’on ne peut résider à Vrindavana, on peut au moins, où que l’on soit, méditer sur Vrindavana. C’est ce que recommande Rupa Gosvami dans le Nectar de la dévotion au chapitre 16
3)Il faut préciser toutefois, que pour véritablement en tirer tous les bienfaits , le maha-mantra doit être reçu des lèvres d’un pur dévot du Seigneur ( et non des lèvres d’un impersonnaliste ou d’un mayavadi) . Il faut donc, avant d’espérer atteindre au pur amour de Dieu (le véritable objectif et bénéfice du chant du maha-mantra), éviter soigneusement de commettre les dix offenses aux Saints Noms.
Catégories :Sexe et principes régulateurs