Je ne peux m’empêcher de penser que les récentes mésaventures des deux paquebots de croisière de la compagnie Costa – le Costa Concordia et Costa Allegra – sont chargées d’une portée philosophique forte.
A quelques mois d’intervalle, tous deux ont vu « leur croisière de rêve » se transformer en véritable cauchemar : le Costa Concordia a échoué sur un récif et est à présent couché sur le flan et déplore un bilan en perte humaine de 32 morts ; le Costa Allegra, quant à lui, n’a pas fait naufrage mais a connu un incendie qui a provoqué de sérieux désagréments (1) pour les passagers.
Dans le monde matériel, chacun cherche à jouir au maximum de l’existence et dans cette perspective rêve d’embarquer sur un paquebot de plaisance tel que le Costa Concordia, le temple du luxe et des divertissements. L’homme du commun (le karmi matérialiste) reste pantois devant l’éventail des plaisirs offerts par le Concordia: cinq restaurants, treize bars, dont un bar à cognac et à cigares, un bar à café et à chocolat, cinq jacuzzis et quatre piscines. Également, il possède un toboggan aquatique, un spa sur deux étages, constitué d’un gymnase, des thermes, d’une infrastructure de thalassothérapie, d’un sauna, d’une salle de soins, d’un bain turc et d’un solarium à UVA. Il contient un terrain de sport et de diverses animations incluant un cinéma 4D, un théâtre sur trois étages, un casino, une discothèque, un simulateur de Grand Prix et une salle de jeu vidéo.
La vision du monde d’un karmi n’est pas la même que celle d’un dévot. C’est ainsi que le karmi et le dévot ne convoitent pas les mêmes choses. Pour un karmi (malheureusement , la majorité des gens à l’heure actuelle), la liste de divertissements du Concordia pré-citée éveillera beaucoup de convoitise ; par exemple, les restaurants où l’on sert maintes variétés de viandes, charcuteries, fruits de mer et autres nourritures non végétariennes et non consacrées à Krishna (appelées prasadam). Le dévot, lui, par contre, ne ressentira aucun attrait pour ce genre de nourritures intouchables. Les bars où le karmi s’intoxique et se délecte à boire de l’alcool, des liqueurs, du café, à fumer des cigares, et les casinos où il s’adonne aux jeux de hasard, seront également délibérément rejetés par le dévot.
Quant aux autres divertissements proposés, on peut dire que la quasi totalité d’entre eux ne l’intéresseront pas non plus car ils ne concernent que les plaisirs extérieurs du corps, les plaisirs des sens (plaisirs des yeux, de l’ouïe, du toucher) et ignorent complètement ceux de l’âme, bien supérieurs, tout comme dans la fable de « L’oiseau dans la cage »
D’autre part, de par sa connaissance profonde de la réalité de l’existence matérielle, le dévot, contrairement au karmi, ne considérera pas celle-ci comme un réservoir de « plaisirs et opportunités à saisir », mais bien plutôt comme un lieu dénué de véritables plaisirs et où le danger en plus est omniprésent.
C’est ainsi que le dévot ne perçoit pas l’océan de la même façon que le karmi. Ce dernier voit l’océan comme un lieu de plaisir et de villégiature idéal où l’on peut jouir des sens à l’extrême, quand le dévot, lui, comprend qu’il représente en réalité une source de souffrances et de dangers potentiels omniprésents [param padam na vipadam na tesam] (2).
Pour illustrer ce fait (d’une conception de l’océan comme un lieu hostile et dangereux) j’aimerai reproduire ici des extraits d’un article, publié il y a quelques temps dans retour-a-krishna, dans lequel on retrouve de nombreuses métaphores sur l’océan. Ce texte est intitulé « Les rigueurs du karma et de réincarnation » et est extrait de la série « L’extase de servir Krishna »
A travers ces métaphores océanes j’ai voulu rendre compte du caractère instable, dangereux, imprévisible et fluctuant de notre existence au sein du monde matériel. Si les deux thèmes du karma et de la réincarnation sont évoqués, c’est parce que les Écritures comme les acharyas et maitres spirituels décrivent souvent l’existence matérielle comme « l’océan des morts et des renaissances » et qu’à l’origine de la constante fluctuation de cet océan on retrouve le karma (l’action intéressée) ; ce karma qui force les êtres conditionnés du monde matériel à se réincarner sans cesse.
Ces extraits sont les suivants :
Les Ecritures védiques, ainsi que les maîtres spirituels-achâryas tels Srila Bhaktivinoda Thakura, Srila Prabhupada, Narottâma das Thakura, et beaucoup d’autres, qui corroborent ces mêmes Ecritures, utilisent souvent l’analogie de l’océan pour décrire l’existence de l’être incarné en ce monde de matière. Et selon cette analogie, l’être vivant dès qu’il prend naissance est comme un navigateur – et souvent un naufragé -, confronté à l’océan.
Voici quelques métaphores sur l’océan, pour illustrer la situation malaisée de l’être incarné dans l’existence matérielle. Sa situation face à l’océan de l’existence matérielle en est une,
(1) d’impuissance,
(2) d’instabilité,
(3) d’incertitude,
(4) d’insécurité et de peur,
(5) d’horreur:
(1) L’impuissance: l’océan change et fluctue constamment, et cela sans qu’on n’y puisse rien. Il caractérise donc l’impuissance. Ayant effectué mon service militaire – à une époque où l’on n’avait pas le choix -, dans la marine, je peux témoigner du caractère changeant et imprévisible de l’océan. Parfois, celui-ci, en fonction de la force du vent, devenait trés agité et nous étions ballotés en tous sens, et d’autres fois nous devions affronter de terribles tempêtes. Les vagues autour de nous, nous apparaissaient alors telles des collines mouvantes se chevauchant dans un fracas d’enfer. Nous n’étions plus alors simplement ballotés, mais carrément soulevés du sol. Nous devions alors nous accrocher à n’importe quoi pour ne pas tomber. D’autres fois, l’océan était d’un calme, presque parfait, ou voir parfait. Dans ce dernier cas, nous naviguions sur une mer d’huile. L’océan n’avait alors aucune vague, et quand le temps était splendide on pouvait s’arrêter pour profiter de l’instant unique et se baigner dans la mer devenue tel un immense et paisible lac.
Appliquée au karma et à la réincarnation, ces images métaphoriques sont évidentes. Qui peut dire, le genre de corps, la destination, les circonstances auxquels il devra faire face dans sa prochaine naissance? Seront-elles agréables ou désagréables ? Favorables ou funestes ? Paisibles ou tourmentées? Sources de bonheur ou de malheur?
Qualifier d’impuissante notre situation en ce monde est trop exagéré pourrait-on objecter, et que même si l’on ne contrôle pas tout, il est quand même possible d’exercer un certain contrôle sur sa vie.Dans cette perspective l’occident reproche souvent aux philosophies du karma et de la réincarnation rattachées principalement à l’Inde et d’autres pays d’orient, de favoriser la passivité et le fatalisme(2).
La vérité est que lorsque la population d’un pays est conduite par des leaders aveugles et trop matérialistes, c’est-à-dire trop influencés par les gunas de l’ignorance et de la passion, elle a tendance à percevoir tout ceux qui ne participent pas à la course effrénée au plaisir des sens et au développement économique comme passifs et fatalistes. Ainsi, au sein d’une telle société dévoyée, les spiritualistes trés occupés à développer leur conscience spirituelle et à atteindre à la réalisation spirituelle sont souvent perçus comme des « profiteurs » ,et accusés de chercher « à fuir leur responsabilité ».Ce qu’oublient les karmis besogneux qui les dénigrent est que, d’une part, même s’ils travaillent dur, à moins que le Seigneur Lui-même, pourvoit à leurs besoins et leur fournit assez d’ensoleillement, d’eau, de terres fertiles, de pétrole, de minerais, etc… , tout leur travail est inutile. Et d’autre part, Dieu, le Seigneur Suprême, n’a pas prévu pour les hommes, contrairement aux animaux, de travailler dur uniquement dans la perspective de pourvoir à leurs seuls besoins matériels. Ils ont une mission dans l’existence autrement supérieure à celle des animaux. Elle est d’atteindre à la réalisation spirituelle, d’échapper au cycle des morts et des renaissances et de retourner dès la fin de cette vie même au monde spirituel, auprés de Dieu, dans leur demeure originelle . Tel est le but sublime de la société du varnashrâma, la société établie par Dieu Lui-même, dans une perspective spirituelle épanouissante , pour les hommes et les autres êtres vivants. Cette société du varnashrama n’a rien d’utopique . Elle a déjà historiquement était établie sur terre et cela pendant des milliers d’années et on en retrouve l’empreinte encore aujourd’hui , bien que d’une façon partielle et altérée, à travers l’asie et surtout l’ Inde. Les hommes, répondant au désir du Seigneur Suprême Krishna, sont appelés à reconstituer aujoud’hui encore le varnasrama dharma. Ils vivront ainsi au sein d’une société prospère et harmonieuse et, en même temps, auront la possibilité d’atteindre au but sublime de l’existence: la libération du cycle des morts et des renaissances.
Ce qui distingue l’être humain de l’animal n’est pas le fait que l’un se déplace sur deux jambes alors que l’autre se déplace sur quatre pattes. Non. Ce qui fait un être humain, digne de ce nom, est le fait qu’il se comporte en être humain et donc ne néglige pas ses responsabilités d’être humain. Les responsabilités pour l’âme incarnée dans un corps humain sont autrement plus importantes que celle incarnée dans un corps animal. Ainsi, les animaux utilisent leur temps exclusivement à pourvoir aux quatre nécessités matérielles de l’existence soit manger, dormir, s’accoupler et se défendre.
Bien sûr, il faut pourvoir à ses besoins matériels, particulièrement pour ceux qui ont charge d’une famille, mais comme le répétait souvent Srila Prabhupada, le maître spirituel du Mouvement pour la Conscience de Krishna, notre préoccupation principale devrait être de raviver notre conscience de Krishna. Il faut donc assumer également nos devoirs matériels, mais quand confrontés à ces deux nécessités, spirituelles et matérielles, par ordre d’importance les premières devraient l’emporter sur les dernières. Ce qui ne veut pas dire que l’on doive négliger nos besoins matériels mais plutôt veiller à ce qu’ils ne prennent pas une ampleur telle dans notre vie qu’ils en viennent à nuire à notre conscience de Krishna.
Donc, une société humaine, soi-disant civilisée, dont les membres sont occupés exclusivement à combler leurs seuls besoins matériels – et de plus à en inventer chaque jour d’autres superflus -, ignorants tout des besoins spirituels, n’est rien de mieux qu’ « une société d’animaux raffinés ».La forme humaine est un don unique de la nature et de Dieu, offerte à l’âme incarnée afin de lui permettre d’accomplir le but de l’existence: le retour à Krishna (voir Srimad-Bhagavatam 5.5.1) . Quand cette fonction n’est pas remplie, au profit du seul plaisir des sens et du développement économique, l’être court le plus grand danger de l’existence qui soit; celui de se voir retirer ce don de la forme humaine. Il est forcé alors, de par les lois de la nature matérielle, de s’incarner dans sa vie suivante, dans une forme animale correspondant à sa mentalité présente, devenue dénaturée. Comme l’explique la Bhagavad-gita c’est notre mentalité au moment de mourir qui déterminera notre condition future (BG 8.6).
SUITE: Naufrage du Concordia:
L’océan est-il un lieu de plaisance? (2/2)
(1) Sourcehttp://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20120302.OBS2759/costa-allegra-la-chaleur-et-le-manque-d-hygiene-etaient-insoutenables.htm
Comment s’est déroulée la vie à bord pendant ces trois jours ?
– George (76 ans) : Nous devions faire sans lumière, sans eau au robinet, sans douche… Notre cabine ayant un hublot sur la mer, nous avions un peu de lumière la journée. Les batteries de secours ont aussi permis d’éclairer un peu le bateau lundi soir, mais le lendemain c’était fini. La première nuit s’est plutôt bien passée. Nous avions chaud mais nous n’avons pas senti de panique. Encore une fois, des passagers étaient plus stressés que nous. De toute manière, quoi qu’on en dise, le Concordia [autre navire de la compagnie qui a fait naufrage sur une côte italienne, NDLR] était de tous les esprits. Mais les situations n’ont rien de comparable. Nous étions loin de tout obstacle, la mer était calme, il ne pleuvait pas, on pouvait bien laisser dériver le bateau. Certains passagers s’inquiétaient aussi de la dangerosité de la zone par rapport aux pirates. Mais trois bateaux, dont un de la marine indienne, étaient en permanence près du nôtre et assuraient la surveillance.
Eliane (75 ans) : La chaleur et le manque d’hygiène ont vraiment été les plus gros problèmes. Nous ne pouvions pas utiliser les sanitaires qui n’étaient pas évacués, et une odeur pestilentielle augmentait au fur et à mesure. C’était insoutenable. Le personnel a distribué des sacs, et n’a mis en place que le troisième jour un système de toilette de fortune avec des planches, allant directement dans la mer. Ça se fait en mer, sur les voiliers notamment. Nous avons l’habitude mais certaines personnes, notamment des personnes âgées, n’osaient pas et n’étaient pas rassurées.
(2) « param padam na vipadam na tesam » : célèbre formule du Srimad Bhagavatam (SB 10.14.58) qui désigne le monde matériel comme « le lieu où il existe un danger à chaque pas (padam) » et compare celui-ci à un redoutable océan, immense et infranchissable. Il faut prendre refuge en « le vaisseau » des pieds-pareils-au-lotus de Krishna si l’on veut traverser cet océan et rejoindre le monde spirituel de Vaikuntha libre de tous dangers et de toutes anxiétés.
Catégories :Faits de société; analyse et solutions
Très belle article. bravo!
Maharani
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