(d’après les célèbres prières de la reine Kunti)
par Sa Divine Grâce
A.C Bhaktivedanta Swami Prabhupāda
(traduction de Denis Bernier et Pierre Corbeil)
Troisième Chapitre
UNE FEMME TRES INTELLIGENTE
tathā paramahaḿsānāḿ
munīnām amalātmanām
bhakti-yoga-vidhānārthaḿ
kathaḿ paśyema hi striyaḥ
» En personne, Tu descends en ce monde, pour implanter la science spirituelle et absolue du service de dévotion dans le cœur des spiritualistes élevés ainsi que des penseurs purifiés par le pouvoir de distinguer le spirituel du matériel. Mais comment nous, femmes, pouvons-nous Te connaître à la perfection ? «
(Srimad-Bhâgavatam 1.8.20)
Le Seigneur demeure inconnu même des plus grands philosophes. C’est ce qu’enseignent les Upanishads : la Vérité Absolue, ou Dieu, la Personne Suprême, gît au-delà du pouvoir de penser des esprits les plus aigus. Ni les plus grandes éruditions ni les plus puissants cerveaux ne peuvent Le connaître; y parvient seul celui qui reçoit Sa grâce. Les autres auront beau agiter des pensées sur Lui pendant des siècles, leurs efforts pour L’appréhender demeureront toujours vains. Ce que confirme la reine Kunti, qui joue ici le rôle d’une simple femme. En général, les femmes sont incapables des raisonnements spéculatifs des philosophes, mais elles sont bénies du Seigneur, car elles acceptent facilement Sa suprématie et Sa toute-puissance, ce qui leur permet de se prosterner sans réserve devant Lui. Dans Son infinie bonté, le Seigneur favorise tous ceux dont les motifs sont sincères, et non pas spécialement les grands philosophes. C’est d’ailleurs pour cette raison que les femmes se sentent davantage portées vers les activités religieuses de toutes sortes. De fait, il a été noté partout dans le monde que les femmes adhèrent plus volontiers que les hommes aux divers mouvements religieux. Or, cette simplicité qui fait accepter d’emblée la suprématie du Seigneur à quiconque s’en trouve animé présente plus de valeur qu’un étalage factice de ferveur religieuse.
Kunti prie le Seigneur avec grande soumission; telle est la marque d’un vaishnava. Krishna était venu lui offrir Son respect en prenant la poussière de ses pieds. Voyant en elle Sa tante, Krishna avait coutume de lui toucher ainsi les pieds. Or, quoique en sa qualité de grande dévote, elle était presque aussi élevée que Yashodâ, la mère de Krishna, elle se montrait si soumise qu’elle priait ainsi : » Krishna, Tu es compris des paramahamsas, des plus hauts spiritualistes, alors que je ne suis qu’une femme; comment pourrais-je Te comprendre ? «
Au sein du système védique existent quatre divisions sociales (câtur-varnyam mayâ srstam). Les brahmanas, ou ceux qui font preuve d’intelligence, sont les membres les plus élevés de la hiérarchie sociale. Puis viennent les kshatriyas (les militaires et administrateurs), les vaishyas (les agriculteurs et hommes d’affaires), et enfin les shûdras (les ouvriers). Notre rang dans cette institution est déterminé par nos qualités et notre travail (guna-karma). La Bhagavad-Gîtâ (9:32) dit : striyo vaisyâs tathâ sûdrâh et le Srimad-Bhâgavatam : strî-sûdra-dvijabandhûnâm (voir verset 25 du Premier Chant, chapitre 4) ) . Selon ces citations, les femmes, les shûdras et les dvija-bandhus appartiennent tous à la même classe. Le mot dvija-bandhu désigne celui qui naît dans une famille élevée de brahmanas ou de kshatriyas, mais sans posséder lui-même de qualification personnelle. Notre rang social, selon le système védique, est déterminé par nos qualifications. Ce qui s’avère très pratique. Prenons le fils d’un juge de la Cour suprême; il n’est pas pour autant lui-même juge. Néanmoins, parce qu’ils sont issus d’une famille de brahmanas, certains se disent tels, même s’ils sont des vauriens de premier ordre, dénués de toute qualification. Bien qu’inférieurs aux shûdras, les gens les tiennent malgré tout pour des brahmanas. D’où la chute de la civilisation védique. Les brahmanas de l’Inde s’opposent parfois férocement à notre mouvement, car je forme des brahmanes américains et européens. Toutefois, nous ne nous soucions guère de leurs arguments et toute personne sensée en fera autant. Sri Chaitanya Mahâprabhu dit : prthivite âche yata nagarâdi grâma sarvatra pracâra haibe mora nâma » Le Mouvement pour la Conscience de Krishna sera diffusé dans chaque ville et village du monde. « Comment alors Européens et Américains ne deviendraient-ils pas des brahmanas ? En fait, quiconque adopte la conscience de Krishna a déjà dépassé le brahmanisme. Comme le déclare la Bhagavad-Gîtâ :
sa gunân samatityaitâm brahma-bhûyâya kalpate
» Qui pratique le bhakti-yoga transcende les influences de la nature matérielle et atteint le niveau spirituel [brahma-bhûta]. » Toute personne qui s’engage pleinement dans le bhakti-yoga accède au plus haut niveau de la transcendance, que dire de devenir un brahmâna.
Bhagavad-gita 14.26
L’idée boiteuse, stéréotypée, selon laquelle seule une personne née d’une famille brahmanique peut devenir brahmana a détruit la civilisation védique. Aujourd’hui, toutefois, nous rétablissons le fait que tous peuvent atteindre la perfection. Krishna, le Seigneur, déclare dans la Bhagavad-Gîtâ :
mâm hi pârtha vyapâsritya ye ‘pi syuh pâpa-yonayah
striyo vaisyâs tathâ sûdrâs te ‘pi yânti parâm gatim
» Quiconque en Moi prend refuge, ô fils de Prthâ, fût-il de basse naissance, une femme, un vaishya, ou même un shoûdra, peut atteindre le but suprême. «
Bhagavad-gita 9.32
Ainsi, quoique femmes, shoûdras et vaishyas soient habituellement considérés comme appartenant à une classe inférieure, celle ou celui qui se fait bhakta dépasse ces désignations. Femmes, shûdras et vaishyas sont ordinairement jugés moins intelligents; or, quiconque adopte la conscience de Krishna fait preuve de la plus haute intelligence, comme l’affirme le Chaitanya-charitâmrita (krsne yei bhaje sei bada catura). De plus, Chaitanya Mahâprabhu enseigne :
ei-rûpe brahmânda bhramite kona bhâgyavân jiva
guru-krsna-prasâde pâya bhakta-latâ-bîja
» Parmi tous les êtres vivants qui errent à travers l’Univers, très fortunés sont ceux qui reçoivent, par la grâce du maître spirituel et de Krishna, la graine de la dévotion. « (Chaitanya-charitâmrita, Madhya 19:151)
Le Mouvement pour la Conscience de Krishna n’est pas formé de membres misérables, infortunés. Non; quiconque embrasse la conscience de Krishna s’avère très fortuné, ayant découvert l’art d’agir qui rendra sa vie parfaite. Nul n’est plus fortuné, ou plus parfait, que l’âme consciente de Krishna qui s’acquitte bien de ses devoirs. C’est ce qu’affirme en toute humilité Kunti dans le présent verset. Quoiqu’elle ait revêtu le corps d’une femme, elle n’en est pas moins dévote. Ne ressemblant aucunement à une femme moyenne, peu intelligente, elle fit au contraire preuve de la plus haute intelligence en reconnaissant en Krishna le Dieu Suprême : » Il vient m’offrir Ses respects, semblant ainsi être mon neveu dans l’ordre matériel; mais en réalité, Il est Dieu, la Personne Suprême. « Aussi disait-elle dans un verset précédent : alaksyam sarva-bhûtânâm antar bahir avasthitam – » Bien que Tu sois partout présent, à l’intérieur comme à l’extérieur, le commun des hommes ne Te voient pas. « Dans un autre passage, elle ajoutait : na laksyase mûdha-drsâ – » Tu demeures invisible aux sots et vauriens. « Ce qui indique que Kunti voyait Krishna tel qu’Il est; sinon, comment aurait-elle pu dire : na laksyase mûdha-drsâ ? Et encore : » Tu transcendes la Création matérielle. « (prakrteh param)
Kunti continue, dans le verset à l’étude, de s’exprimer en toute humilité. Une telle attitude se révèle très propice à la dévotion. Voilà pourquoi Sri Krishna Chaitanya Mahâprabhu nous enseigne : trnâd api sunîcena taror api sahisnunâ – » Il faut devenir plus tolérant que l’arbre et plus humble que l’herbe, si l’on désire progresser dans la spiritualité. » (voir les prières Siksastaka) Cette attitude est nécessaire puisqu’en ce monde matériel, tout habitant y rencontre tant de perturbations, comme lorsqu’on traverse l’océan, où l’on ne peut guère s’attendre à une situation très paisible. Même un gros navire peut s’avérer instable et à tout instant, des vagues tumultueuses peuvent s’élever. De même, il faut toujours s’attendre à quelque danger dans l’Univers matériel; on ne peut espérer y vivre dans la plus grande paix. Les Écritures védiques (shâstra) affirment ; padam padam yad vipadâm – à chaque pas on rencontre de nouveaux périls. (S.B. 10.14.58) Cependant, toute personne qui adopte le service de dévotion pourra y échapper (mâyâm etâm taranti te – voir Bg 7.14 ).
Au début, lorsqu’on adopte la conscience de Krishna, Mâyâ, l’énergie d’illusion matérielle, provoquera de nombreuses perturbations. Elle nous mettra à l’épreuve pour déterminer si nous sommes fermement établis dans cette conscience. Puisqu’elle représente aussi Krishna, Mâyâ ne permet à personne de Le déranger. Aussi nous met-elle rigoureusement à l’épreuve afin de juger si nous adoptons la conscience de Krishna pour troubler le Seigneur, ou si nous sommes vraiment sérieux. Tel est son rôle. Au début donc, Mâyâ nous éprouvant, nous rencontrerons tant de perturbations tout en progressant dans la conscience de Krishna. Mais si nous en respectons les règles et principes en plus de chanter les Saints Noms tel que prescrit, nous ne serons pas ébranlés. Négligeons ces principes et Mâyâ nous capturera aussitôt, car elle reste toujours à l’affut. Nous voguons sur l’océan où à tout instant peuvent surgir divers éléments perturbateurs. D’où le qualificatif de paramahamsa qu’on prête à quiconque demeure imperturbable.
Kunti dit donc : » Tu es compris des paramahamsas (tathâ paramahamsânâm). Le mot parama signifie » ultime « et hamsa » cygne « ; on traduit ainsi le terme paramahamsa par » le cygne parfait « . Si nous offrons au cygne un mélange d’eau et de lait, il n’en prendra que le lait. Dans un même ordre d’idée, ce monde matériel est formé de deux natures : la Nature spirituelle – ou supérieure – et la Nature matérielle dite inférieure. L’être qui délaisse la seconde pour ne saisir que la première sera qualifié de paramahamsa.
Sachons que les activités corporelles naissent de la présence de l’âme qui habite le corps. C’est un fait. Le corps n’est qu’une enveloppe externe. De même, il faut savoir que Krishna représente le centre de toute action; qui connaît cette vérité est paramahamsa. Ainsi le bhakti-yoga est-il destiné à de telles âmes, conscientes que Krishna incarne la réalité centrale. Il l’affirme d’ailleurs Lui-même dans la Bhagavad-Gîtâ : aham sarvasya prabhavo mattah sarvam pravartate – » De tout Je suis la Source; de Moi tout émane. » (Bg 10.8) Qui sait, non seulement en théorie mais de fait, que Krishna représente la cause première de toutes les causes – quiconque en est convaincu – est un paramahamsa.
Lorsque Kunti dit : » Tu es destiné aux paramahamsas et aux munis, non aux sots ou vauriens « , le mot munînâm qu’elle emploie alors désigne les théoriciens et intellectuels. Le terme amalâtmanâm indique ceux dont le cœur est pur. Le cœur des matérialistes regorge en effet d’impuretés. Quelles sont ces impuretés ? L’avidité et la concupiscence. Puisque celles-ci rongent tous les matérialistes, on s’entend pour dire que leur cœur déborde de souillures. Par contre, le mot amalâtmanâm indique tout personne lavée de cette double pollution.
Le bhakti-yoga est conçu pour les cœurs purs, non pour les êtres aussi avides que lascifs. Bien sûr, ceux-ci peuvent également chercher à s’élever pour y parvenir peu à peu. Or, dès qu’on s’établit dans le bhakti-yoga, toute avidité, toute concupiscence s’évanouit. Viraktir anyatra ca (S.B. 11.2.42) : voilà le critère; quand on s’affranchit des désirs lascifs et de l’avidité, on s’établit dans le bhakti-yoga, on devient un vrai paramahamsa. Kunti affirme en toute humilité : » Tu es destiné aux munis comme aux paramahâmsas, ces purs adeptes du bhakti-yoga. Mais qui sommes-nous ? De pauvres femmes. Appartenant à une classe inférieure, comment pourrions-nous Te comprendre ? « Bien qu’elle comprenne tout, Kunti joue néanmoins le rôle d’une femme ordinaire et demande : » Comment Te comprendre ? « Voilà ce qu’on entend par humilité.
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