Au contact de l’énergie supérieure

(d’après les célèbres prières de la reine Kunti)

 
par  Sa Divine Grâce

A.C Bhaktivedanta Swami Prabhupāda

(traduction de Denis Bernier et Pierre Corbeil)

Onxième Chapitre 


Au contact de
l’énergie supérieure

manye tvāḿ kālam īśānam
anādi-nidhanaḿ vibhum
samaḿ carantaḿ sarvatra
bhūtānāḿ yan mithaḥ kaliḥ

  » Je vois Ta Grâce comme le temps éternel, le maître absolu, sans commencement ni fin, l’omniprésent. C’est avec équanimité qu’à tous Tu distribues Ta miséricorde; les conflits entre les êtres ne résultent pas de Toi, mais d’eux-mêmes, dans leurs rapports entre eux. « 
                                 (Srimad-Bhâgavatam 1.8.28)

    Kunti avait conscience du fait que Krishna n’était ni son neveu, ni un simple membre de sa lignée paternelle. Elle savait parfaitement qu’Il était le Seigneur en Sa Forme originelle, également présent dans le cœur de chacun en tant que Paramâtmâ, l’Âme Suprême, aussi désigné sous le nom de kâla, le temps éternel. Le temps éternel témoigne de tous nos actes, bons ou mauvais, et nous fait subir les conséquences de chacun. Il est inutile de dire que nous ne savons pas pourquoi nous souffrons. Nous pouvons ne pas avoir souvenir des méfaits commis autrefois pour lesquels nous avons à souffrrir maintenant, mais nous devons nous rappeler que le Paramâtmâ est notre compagnon de chaque seconde, que Lui sait tout de notre passé, de notre présent et de notre avenir. Et parce que cette émanation de Sri Krishna sanctionne les actes de chaque être, de même qu’Il leur en attribue les conséquences, Il est également le maître absolu. Pas un brin d’herbe ne peut bouger sans sa sanction personnelle.

    Les êtres distincts se voient, chacun selon ses mérites, attribuer une certaine part de libre arbitre, et c’est le fait d’en mal user qui entraîne la souffrance. Les bhaktas, les dévots, pour leur part, font un juste usage de leur liberté, et sont donc tenus pour les dignes fils du Seigneur. Les autres, ceux qui abusent de leur liberté, se trouvent dès lors exposés, sous l’action du kâla, du temps éternel, à divers maux. Les joies et peines de l’âme conditionnée lui sont toutes prédestinées par le kâla. Comme le malheur nous frappe sans que nous l’ayons désiré, de même le bonheur survient en temps et lieu, sans que nous ayons à le solliciter; et la raison en est précisément que nos joies et peines sont toutes ordonnées à l’avance, par le temps éternel. Le Seigneur n’est, à cet égard, l’ami ni l’ennemi de quiconque en ce monde; chacun jouit ou souffre de la vie selon la destinée qu’il s’est lui-même tracée de par ses rapports avec les autres êtres. Chacun cherche, ici-bas, à dominer la Nature matérielle, créant ainsi, au long de ses efforts pour y parvenir, et sous le vision ordonnatrice du Seigneur Suprême, sa propre destinée. Le Seigneur est partout présent et connaît donc les activités de chacun. Sans commencement ni fin, Il est également connu comme le kâla, le temps éternel. 

Les propos de Kunti sont confirmés par le Seigneur Lui-même dans la Bhagavad-Gîtâ :

samo ‘ham sarva-bhûtesu
na me dvesyo ‘sti na priyah
ye bhajanti tu mâm bhaktyâ
mayi te tesu câpy aham

 » Je n’envie, Je ne favorise personne, envers tous Je suis impartial. Mais quiconque Me sert avec dévotion vit en Moi; il est un ami pour Moi, comme Je suis son ami.  »
( Bhagavad-gita 9.29)

  Dieu ne saurait être partial. Chacun en étant le fils, comment le Seigneur pourrait-Il en favoriser un au détriment d’un autre? Cela est impossible. Mais les humains, eux, s’adonnent à la discrimination.  » En Dieu, nous mettons notre confiance » (1) , écrivons-nous; démontrons-le en étant également bon et miséricordieux envers tous les êtres vivants. Ainsi se définit la conscience de Krishna.

    Krishna dit :  » Je n’ai ni ami ni ennemi. «  Na me dvesyo ‘sti na priyah. Le mot dvesya signifie  » ennemi « . Nous faisons preuve d’envie envers nos ennemis et d’amitié envers nos amis; mais étant absolu, Krishna S’avère un ami même lorsqu’Il semble hostile envers un être diabolique. En effet, en agissant ainsi, Il anéantit les œuvres démoniaques de ce dernier, qui devient dès lors sanctifié et se fond dans la suprême radiance impersonnelle – le brahmajyoti -, un des trois aspects de la Vérité Absolue.

vadanti tat tattva-vidas
tattvam yaj jñânam advayam
brahmeti paramâtmeti
bhagavân iti sabdyate
(S.B. 1.2.11)

La Vérité Absolue est Une, mais on la perçoit selon trois aspects, appelés Brahman, Paramâtmâ et Bhagavân. Bhagavân incarne l’aspect originel et intégral de la Vérité Absolue; Paramâtmâ – Ksîrodakasâyî Vishnu – en est la manifestation plénière sise dans le cœur de chacun (îsvarah sarva-bhûtânâm hrd-dese ‘rjuna tisthati). Son troisième aspect est Brahman, la radiance impersonnelle, omniprésente, de l’Absolu.

    La Vérité Absolue se montre égale envers tous, mais chacun réalise l’Absolu selon son approche personnelle (ye yathâ mâm prapadyante). Selon nos facultés d’entendement, la Vérité Absolue se révèle comme le Brahman impersonnel, le Paramâtmâ localisé, ou Bhagavân, son aspect ultime.

    Illustrons ce fait à l’aide d’un exemple. Nous pouvons parfois apercevoir de notre chambre des montagnes, quoique de façon imprécise. Los Angeles en compte plusieurs qui, vues de loin, prennent l’aspect de nuages fumeux. Mais qu’on s’en approche et on en découvrira les formes précises. Et si nous poussons jusqu’aux montagnes mêmes, nous y verrons plusieurs personnes à l’œuvre et de nombreuses maisons, routes, voitures… Dans un même ordre d’idée, qui veut connaître la Vérité Absolue grâce à son petit cerveau, pensant :  » Je ferai des recherches en vue de découvrir la Vérité Absolue « , n’en obtiendra qu’une idée aussi vague qu’impersonnelle. Si, allant plus loin, il adopte la méditation, il réalisera la présence de Dieu dans son cœur. Dhyânâvasthita-tad-gatena manasâ pasyanti yam yoginah (SB 12.3.1 ). Le yogi – le vrai – voit la forme de Vishnu en son cœur grâce à la méditation.

    Le dévot, cependant, rencontre la Personne Suprême face à face, comme nous nous rencontrons aujourd’hui pour discuter. Le Seigneur Souverain demande :  » Procure-Moi ceci «  et le dévot Le sert directement en Lui donnant ce qu’Il désire. Il existe différentes réalisations de la Vérité Absolue, et quoique l’Absolu Se montre égal envers tous, c’est à nous de Le comprendre selon notre degré d’avancement. Aussi Kunti dit-elle : samam carantam sarvatra –  » C’est avec équanimité qu’à tous Tu distribues Ta miséricorde. « 

    Le mot carantam signifie  » mobile « . Le Seigneur est partout – à l’intérieur comme à l’extérieur – et il n’en tient qu’à nous de clarifier notre vision pour Le voir. Grâce au service de dévotion, nous pouvons purifier nos sens afin d’être à même de percevoir la présence de Dieu. Les êtres moins intelligents ne cherchent qu’à Le voir en eux, mais d’autres à l’intelligence plus éveillée peuvent voir le Seigneur à l’intérieur comme à l’extérieur d’eux.


Le yoga de la méditation fut conçu en fait pour les moins intelligents. Les méditants doivent maîtriser leurs sens (yoga-indriya-samyamah). Nos sens sont très agités, et la pratique des divers asanas, ou postures assises, doit nous aider à maîtriser le mental comme les sens afin de concentrer notre attention sur la forme de Vishnu dans le cœur. Voilà la méthode de yoga préconisée pour ceux qu’absorbe trop la conception corporelle de l’existence. Étant plus évolués, les dévots – ou bhaktas – n’ont pas besoin d’adopter d’autres procédés que le service de dévotion, car celui-ci leur confère déjà la maîtrise des sens.

   À titre d’exemple, les sens de la personne qui nettoie le temple, adore ou pare la Murti, cuisine pour Elle… sont d’ores et déjà occupés à servir la Vérité Absolue. Quel risque courent-ils d’être détournés? Hrsîkena hrsîkesa-sevanam bhaktir ucyate : la bhakti, le service de dévotion, consiste simplement à utiliser nos sens (hrsîka) au service du maître des sens (hrsîkesa) [ voir le verset ] . Pour l’instant, nos sens s’absorbent dans la jouissance. Croyant être le corps, je pense qu’il me faut satisfaire mes sens. Alors qu’en réalité, il s’agit là d’une phase impure de l’existence. Quand on en vient à comprendre être non le corps mais bien une âme spirituelle, une partie intégrante du Divin, on sait que les sens spirituels doivent servir l’Être Suprême – ou l’Âme Suprême.

    La libération s’atteint lorsque, renonçant à la fausse notion que le corps est le soi, on retrouve sa véritable position de serviteur du Seigneur (muktir hitvânyathâ rûpam svarûpena vyavasthitih) Conditionnés, nous délaissons notre position originelle, constitutionnelle, décrite par Chaitanya Mahâprabhu comme celle de serviteur éternel de Krishna (jîvera svarûpa haya – krsnera ‘nitya-dâsa’). Or, dès que nous nous employons au service du Seigneur, nous sommes libérés. Il n’est pas nécessaire d’adopter quelque procédé préliminaire. Le fait même d’utiliser ses sens au service de Dieu prouve qu’on est libéré.

    La libération est accessible à tous (samam carantam). Dans la Bhagavad-Gîtâ, Krishna ne dit pas à Arjuna :  » Seulement toi peux venir à Moi et atteindre la libération. «  Non, le Seigneur demeure accessible à tous. Lorsqu’Il dit : sarva-dharmân parityajya mâm ekam saranam vraja –  » Délaisse tout autre devoir et abandonne-toi à Moi  » (BG 18.66) , Il ne S’adresse pas qu’à Arjuna, mais à tous. Même si Arjuna était originellement visé, la Bhagavad-Gîtâ fut en fait énoncée pour tous les êtres humains. Chacun doit donc se prévaloir de cet enseignement.

L’impartialité de Krishna se compare à celle du soleil, qui ne considère pas :  » Voici un pauvre, un homme de classe inférieure et un porc; je ne répandrai pas mes rayons sur eux. «  Non, le soleil se montre égal envers tous; il n’en tient qu’à chacun d’en profiter. La lumière du jour est là; mais si fermant nos portes, nous lui préférons les ténèbres, c’est notre choix. Dans un même ordre d’idée, Krishna est partout et pour tous; Il est prêt à nous accepter dès notre abandon à Sa Personne. Samam carantam. Il n’y a aucune restriction. On peut établir une distinction entre les classes inférieure et supérieure, mais Krishna dit : mâm hi pârtha vyapâsritya ye ‘pi syuh pâpa-yonayah;  » Même si on est dit appartenir à une classe inférieure, peu importe. En s’abandonnant à Moi, on devient également digne de retourner auprès de Dieu, en sa demeure première. «  (BG 9.32)

    Kunti décrit ce même Krishna comme le temps éternel. Tout survient dans le cadre du temps, mais notre évaluation des temps passés, présents et à venir est relative. L’évaluation par l’insecte du passé, du présent et du futur diffère de la nôtre, et on peut en dire autant de Brahmâ, le principal être créé dans l’Univers. Or, Krishna ne connaît ni passé, ni présent, ni futur; Il est donc éternel. Nous avons un passé, un présent et un futur parce que nous transmigrons d’un corps à un autre. Né d’un père et d’une mère à une certaine date, notre corps actuel subsistera quelque temps. Tout en se développant, il produira une descendance, puis vieillira en s’affaiblissant et enfin, disparaîtra. Il nous faudra ensuite en revêtir un neuf. Lorsque les passé, présent et futur de mon corps actuel seront révolus, j’en assumerai un nouveau, amorçant ainsi un nouveau cycle de passé, présent et futur. Mais Krishna ne vit ni passé, ni présent, ni futur du fait qu’Il ne change jamais de corps. Voilà ce qui Le distingue de nous.

    La position éternelle de Krishna est révélée dans la Bhagavad-Gîtâ, quand Il dit à Arjuna :  » J’énonçai jadis, il y a des millions d’années, cette philosophie au deva du soleil. «  Arjuna parut alors en douter. De toute évidence, Arjuna savait tout. Mais pour nous instruire, il dit à Krishna :  » Étant contemporains, nous sommes nés pratiquement à la même date. Comment puis-je croire que Tu aies transmis cette philosophie au déva à cette époque reculée? «  Ce à quoi Krishna répondit :  » Mon cher Arjuna, tu étais également présent à l’époque, mais tu l’as oublié. Par contre, Je M’en souviens. Voilà la différence. «  Passé, présent et futur se rapportent aux êtres qui oublient, mais n’existent pas pour qui se souvient et vit éternellement.

    Kunti appelle par conséquent Krishna l’Éternel (manye tvâm kâlam). Étant tel, Il est le maître absolu (îsânam). L’extraordinaire conduite de Krishna donna à Kunti de comprendre cette double vérité. N’ayant ni commencement ni fin (anâdi-nidhanam), Il est vibhu, le Suprême, le plus grand de tous.

    Nous sommes anu, les plus petits, alors que Krishna est vibhu, le plus grand de tous. Puisque nous faisons partie intégrante de Krishna, Celui-ci est donc à la fois le plus petit et le plus grand, tandis que nous n’incarnons que le plus petit. Vibhou – le plus grand – doit tout englober. Un grand sac peut contenir plusieurs choses, au contraire d’un petit sac. Étant vibhu, Krishna inclut tout, même le passé, le présent et l’avenir, en plus d’être omniprésent.

    Sans Krishna, la matière ne saurait se développer. Les hommes de science athées disent que la vie vient de la matière. Pure ineptie. La matière est une énergie de Krishna, et de même l’esprit. L’esprit incarne l’énergie supérieure et la matière, l’énergie inférieure. La matière se développe lorsqu’elle est mise en présence de l’énergie supérieure. Citons un exemple. Voici deux ou trois cents ans, l’Amérique n’était pas un continent très développé, mais cette situation a radicalement changé depuis l’arrivée d’êtres supérieurs venus d’Europe. L’énergie supérieure est donc la cause de tout développement. L’Afrique, l’Australie et plusieurs autres régions comportent encore des terres vierges, non développées. Pourquoi? Dû à l’absence de tout contact avec des êtres évolués. Dès le moindre contact avec une énergie supérieure, surgiront de nombreuses industries, résidences, cités, routes, voitures…

    Le fait est que la matière ne peut se développer par elle-même. C’est impossible. Elle requiert, pour s’activer, le contact de l’énergie supérieure. Citons un deuxième exemple. Tout appareil étant fait de matière – d’énergie inférieure -, il ne fonctionnera qu’au contact d’un opérateur. Même si elle vaut une fortune et si des millénaires s’écoulent, aucune voiture ne se déplacera en l’absence d’un conducteur.

    Il est donc logique que la matière ne puisse opérer indépendamment; elle ne peut rien sans le contact de l’énergie supérieure qu’est l’être vivant. Comment pourrait-on alors conclure que la vie naît de la matière? De tels propos ne peuvent être émis que par des imposteurs, des savants au savoir déficient.

    Tous les univers se sont développés grâce à la présence de Krishna, comme le mentionne la Brahma-samhitâ (5.35) : andântara-stha-paramânu-cayântara-stham . Étudiant l’atome, les hommes de science ont découvert que les électrons, protons et autres particules se comportent de diverses façons. Pourquoi ces particules sont-elles actives? Parce que Krishna y est présent. Voilà ce qu’on entend par véritable entendement scientifique.

    On doit comprendre Krishna de façon scientifique. Ne connaissant ni passé, ni présent, ni futur, Il incarne le temps éternel; sans commencement ou fin, Il fait preuve d’équanimité envers tous. Il s’agit simplement de se préparer à voir et comprendre Krishna. Tel est le but de la conscience de Krishna.

                                  SUITE : Des divertissements inconcevables

(1) Allusion faite ici à la devise américaine  « In God we trust »  que l’on retrouve imprimée sur les billets de banque américain .
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ye yathā māḿ prapadyante
tāḿs tathaiva bhajāmy aham
mama vartmānuvartante
manuṣyāḥ pārtha sarvaśaḥ

Traduction:

« Tous suivent Ma voie, d’une façon ou d’une autre, ô, fils de Prtha, et selon qu’ils s’abandonnent à Moi, en proportion Je les récompense »
(Bhagavad-gita 4.11)

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muktir hitvānyathā rūpaḿ
sva-rūpeṇa vyavasthitiḥ

Traduction:

 » La libération  correspond à la condition et à la forme permanente de l’être distinct, lorsque celui-ci met fin à ses transmigrations en divers corps matériels, grossiers et subtils, tous éphémères »
               (Srimad Bhagavatam 2.10.6)



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