(d’après les célèbres prières de la reine Kunti)
par Sa Divine Grâce
A.C Bhaktivedanta Swami Prabhupāda
(traduction de Denis Bernier et Pierre Corbeil)
Quatorzième Chapitre
Merveilleuses activités du Seigneur
gopy ādade tvayi krtāgasi dāma tāvad
yā te daśāśru-kalilāñjana-sambhramākṣam
vaktraḿ ninīya bhaya-bhāvanayā sthitasya
sā māḿ vimohayati bhīr api yad bibheti
» Quand Yashodâ a pris une corde pour T’attacher en punition de Ta mauvaise conduite, Ton regard s’est troublé, Tes yeux se sont emplis de larmes, qui en diluèrent le fard, et Tu avais peur, Toi que craint la peur en personne. Tout ceci me laisse confuse, ô Krishna. »
(Srimad-Bhâgavatam 1.8.31)
Voici un autre exemple de la perplexité qu’engendrent chez les êtres les Divertissements du Seigneur. Le Seigneur, nous l’avons vu, demeure tel en toutes circonstances, mais il arrive parfois que dans un même temps, Il Se veuille le subordonné de Son pur dévot. Le pur bhakta sert le Seigneur uniquement par amour, un amour sans mélange, et il se peut que dans l’exécution de son service dévotionnel, il oublie la position suprême du Seigneur. Mais Celui-ci reçoit avec plus de joie encore le service d’amour de Ses dévots lorsqu’il est précisément accompli dans la spontanéité, par pure affection, sans nulle trace de respect formel. D’une manière générale, le Seigneur reçoit de Ses dévots une adoration empreinte de révérence, mais Il éprouve une joie toute particulière à voir Son dévot Le considérer, par pur amour, comme son inférieur. Et c’est dans cet esprit que se déroulent Ses échanges avec Ses purs dévots dans Son royaume originel de Goloka Vrindâvan. Là, les amis de Krishna Le considèrent comme l’un d’entre eux; ils ne Le voient pas comme un objet de vénération. Quant aux parents du Seigneur, ils Le voient comme un simple enfant, et Celui-ci accepte leur châtiment de meilleure grâce que les prières des Védas. De même, Il éprouve un plus grand plaisir à Se voir adresser des reproches d’amour par les gopîs qu’à entendre les hymnes védiques.
Lorsque le Seigneur, Sri Krishna, à seule fin de faire se tourner vers Lui les êtres, est venu dévoiler dans cet Univers les Divertissements éternels qui sont les Siens dans le royaume absolu de Goloka Vrindâvan, Il montra un exemple unique de subordination devant Yashodâ, Sa mère adoptive. Parmi Ses jeux d’enfance, Il aimait saccager les réserves de beurre de Yashodâ en brisant les pots et en distribuant leur contenu à Ses amis et compagnons de jeu, y compris les fameux singes de Vrindâvan, heureux de profiter de la munificence du Seigneur. Un jour, Yashodâ Le prit sur le fait, et par pur amour pour Lui, elle voulut corriger son fils divin, mais sans pour autant se montrer très sévère envers Lui. Elle prit une corde et menaça d’attacher le Seigneur, comme cela se fait généralement pour punir les enfants. Mais voyant la corde dans les mains de Yashodâ, Krishna baissa la tête et Se mit à pleurer, comme tout garçonnet l’aurait fait à Sa place; des larmes roulèrent sur Ses joues, faisant couler le fard noir qui entourait Ses yeux adorables. Cette image du Seigneur fait l’adoration de Kunti, car celle-ci connaît Sa position suprême, Lui que craint même la peur personnifiée; et Le voilà cependant effrayé devant le châtiment de Sa mère. Le point de vue de Yashodâ est tenu pour plus élevé que celui de Kunti, car elle n’avait pas conscience de la position suprême de Krishna. Krishna devint son fils et lui fit oublier complètement que son enfant n’était autre que le Seigneur. Si elle avait eu conscience de la suprématie de Krishna, Yashodâ aurait certes hésité à Le punir, mais le Seigneur fit qu’elle oublia tout, car Il désirait jouer à tous égards le rôle d’un enfant devant l’affectueuse Yashodâ. Leurs sentiments maternels et filiaux s’exprimèrent de façon tout à fait naturelle, et Kunti, se rappelant la scène, se sent confuse; elle ne peut que louer l’amour filial absolu du Seigneur pour Yashodâ. Et indirectement, mère Yashodâ se trouve aussi glorifiée pour son amour incomparable, elle qui put dominer le Seigneur tout-puissant apparu comme son fils.
Ce Divertissement dévoile une autre opulence de Krishna – Sa beauté. Krishna possède six opulences dans toute leur plénitude : richesse, puissance, influence, savoir, renoncement et beauté. De par Sa nature, Krishna est plus grand que le plus grand et plus petit que le plus petit (anor anîyân mahato mahîyân). Nous offrons, avec respect et vénération, notre hommage à Krishna que personne n’approche pour Lui dire, une corde à la main : » Tu as commis une offense, Krishna; je vais donc T’attacher. » Pourtant,
telle est la prérogative du dévot parfaitement accompli; Krishna désire d’ailleurs être approché de cette façon.
Songeant à l’opulence de Krishna, Kunti dévî n’osait guère assumer le rôle de Yashodâ; bien qu’elle fût la tante de Krishna, Kunti n’avait pas le privilège d’approcher Krishna comme le faisait Yashodâ, dont telle était la dévotion qu’elle jouissait du droit de réprimander le Seigneur Suprême. C’était là sa prérogative toute spéciale. Kuntîdevî songeait simplement à la grande fortune de Yashodâ, qui pouvait menacer le Seigneur, redouté par la peur personnifiée (bhîr api yad bibheti). Qui ne craint point Krishna? Personne. Mais Krishna craint Yashodâmayî. Telle est l’incomparable excellence de Krishna.
Citons un autre exemple de cette même opulence. Krishna est appelé Madana-mohana. Madana signifie » Cupidon « . Cupidon charme tous les êtres; or, Krishna est appelé Madana-mohana, car telle est Sa beauté qu’Il charme même Cupidon. Néanmoins, Krishna est Lui-même fasciné par Srimatî Râdhârânî. D’où le nom de Madana-mohana-mohinî – » Celle qui fascine Celui qui charme Cupidon » – qu’on donne à Râdhârânî. Krishna fascine Cupidon, mais Râdhârânî soumet même Krishna à Son enchantement.
Il s’agit là de réalisations spirituelles très élevées dans la conscience de Krishna. Loin d’être fictifs, imaginaires ou inventés, ces faits peuvent être compris de chaque dévot, qui aura aussi le privilège – s’il est vraiment avancé – de prendre part aux Divertissements de Krishna. N’allons pas croire que le privilège conféré à mère Yashodâ nous est refusé. Chacun peut être pareillement béni. Qui aime Krishna comme son enfant jouira d’un privilège semblable, car c’est la mère qui éprouve le plus d’amour pour l’enfant. Même en l’Univers matériel, rien ne peut être comparé à l’amour maternel, car la mère aime son enfant sans rien attendre en retour. Évidemment, bien qu’il en soit généralement ainsi, ce monde est si infect que la mère pensera parfois : » Mon enfant deviendra un homme dont je profiterai des revenus. » Ainsi subsistera un certain désir de retour. Mais l’amour qu’on éprouve pour Krishna, de par sa pureté, est libre de tout sentiment égoïste, de tout espoir de gain matériel (anyâbhilâsitâ-sûnyam).
Évitons d’aimer Krishna en vue de quelque gain matériel. Gardons-nous de dire : » Krishna, donne-moi mon pain quotidien et je T’aimerai. Donne-moi ceci ou cela et je Te donnerai mon amour. » De tels rapports mercantiles ne doivent pas exister, car Krishna aspire à un amour sans mélange.
Quand Krishna vit mère Yashodâ approcher, armée d’une corde pour L’attacher, Il devint aussitôt craintif, pensant : » Oh, mère va M’attacher. » Ses larmes coulent tout de suite, effaçant le mascara de Ses yeux. Le regard empreint d’un grand respect, Il la supplie avec âme : » Pardonne-Moi, mère; Je sais t’avoir offensée. » Sur ce, Il courbe la tête sur-le-champ. Kunti apprécie cet incident, révélateur d’une des perfections de Krishna. Quoique Dieu, Il S’en remet à mère Yashodâ. Dans la Bhagavad-Gîtâ , le Seigneur dit : mattah parataram nânyat kiñcid asti dhanañjaya – » Mon cher Arjuna, nul ne M’est supérieur. » (BG 7.7) Néanmoins, l’Être Suprême, que personne ne surpasse, S’incline devant mère Yashodâ en avouant : » Ma chère mère, oui, Je t’ai offensée. «
Voyant à quel point Krishna la craint, Yashodâ est également troublée. Elle ne veut pas en fait que Krishna souffre de Sa punition; tel n’est pas son but. Mais en Inde, la coutume veut encore aujourd’hui qu’une mère attache l’enfant trop perturbateur. Yashodâ adopte donc cette coutume très courante.
Les purs dévots apprécient grandement ce Divertissement qui révèle toute la grandeur du Suprême, qui imite parfaitement l’enfant idéal. Quand Krishna joue le rôle d’un enfant ou celui de l’époux de seize mille femmes, ou encore de l’amant des gopis ou l’ami des petits pâtres, Il le fait à la perfection.
Ces petits pâtres dépendent tous de Krishna. Un jour qu’ils voulaient goûter les fruits d’une forêt de palmiers, le diabolique Gardabhâsura en interdit à tous l’accès. Aussi les amis de Krishna Lui dirent-ils : » Nous désirons goûter ces fruits, si Tu peux faire en sorte que cela se réalise. » Acquiescent aussitôt, Krishna et Balarâma entre dans la forêt où vivait le démoniaque avec ses acolytes sous la forme d’ânes. Lorsque ceux-ci veulent frapper Krishna et Balarâma de leurs pattes de derrière, Balarâma Se saisit de l’un d’eux qu’Il projette au faîte d’un arbre, où il rend l’âme. Ses comparses subirent tous le même sort à la grande joie des petits pâtres.
Un autre jour, ces mêmes garçons furent encerclés par un incendie. Ne connaissant que Krishna, ils L’appellent aussitôt à l’aide et Celui-ci avale immédiatement les flammes dévorantes. Plusieurs monstres s’en prenaient aux jeunes pâtres qui, chaque jour, retrouvaient leur mère pour lui dire : » Maman, Krishna est si merveilleux. « , tout en retraçant l’incident survenu ce jour-là. Les mères admettaient alors : » Il l’est en effet. » Ignorant que Krishna est Dieu, la Personne Suprême, mères et enfants savaient seulement qu’Il était merveilleux, voilà tout. Et plus ils percevaient la nature unique de Ses actes, plus leur amour s’intensifiait. » Peut-être est-Il un déva « , disaient-ils alors. Quand Nanda Mahârâj, le père de Krishna, conversait avec ses amis, ceux-ci affirmaient : » Ton fils Krishna est simplement merveilleux. » Et Nanda de répondre : » Je le vois bien. Peut-être est-ce un déva. » Mais il n’en était pas sûr.
Les habitants de Vrindâvan ne se soucient donc guère de savoir qui est Dieu et qui ne l’est pas. Ils aiment Krishna, un point c’est tout. Ceux qui songent d’abord à analyser Krishna pour déterminer s’Il est Dieu ne sont pas des dévots de premier ordre. Un amour spontané pour Krishna : voilà à quoi on reconnaît un dévot exemplaire. Comment pourrait-on analyser Krishna? Impossible puisqu’Il est infini. Notre perception étant aussi limitée que la portée de nos sens, comment pourrait-on étudier Krishna? C’est tout simplement impossible. Krishna Se révèle dans une certaine mesure, ce qui s’avère suffisant.
Évitons d’imiter les philosophes Mâyâvâdî, qui cherchent à découvrir Dieu par la déduction spéculative. » Neti neti, les entend-on dire, Dieu n’est pas ceci ni cela. » Mais ce qu’est Dieu, ils n’en savent rien. Les hommes de science matérialistes recherchent eux aussi la cause ultime, mais ils adoptent la même voie : » ce n’est pas ceci ni cela. » Peu importe les progrès qu’ils réaliseront, ils seront toujours confrontés à cette même conclusion. Quant à l’ultime cause, elle leur échappera toujours. Jamais ils ne la découvriront.
Que dire de découvrir Krishna, ces savants matérialistes ne peuvent même pas comprendre la matière. Bien qu’ils cherchent à atteindre la Lune, ils n’en connaissent pas vraiment la nature. Sinon, pourquoi reviendraient-ils ici? S’ils connaissaient parfaitement l’astre lunaire, ils y auraient déjà établi leur résidence. Malgré qu’ils cherchent à s’y établir depuis plus de vingt ans, leur vision se résume à » ce n’est pas ceci ni cela. Il n’y a pas de vie et il nous serait impossible d’y vivre nous-mêmes. » Ils peuvent donc rendre compte de ce qu’il n’y a pas sur la Lune, mais ils ignorent ce qui est là. Et il ne s’agit là que d’une planète ou une étoile.
La littérature védique considère en effet la Lune comme une étoile. Selon les scientifiques, les étoiles seraient toutes des soleils. Or, Krishna affirme dans la Bhagavad-Gîtâ (10:21) : naksatrânâm aham sasî – » Parmi les étoiles, Je suis la Lune. » L’astre lunaire est donc de même nature que les myriades d’étoiles. Quelle est cette nature? La Lune brille parce qu’elle réfléchit la lumière du Soleil. Nous n’acceptons donc pas l’hypothèse des savants selon laquelle les étoiles seraient autant de soleils. Les Védas estiment qu’il existe d’innombrables soleils, mais chaque univers n’en possède qu’un.
Notre vision de l’Univers s’avère aussi imparfaite que notre savoir. Nous sommes incapables d’évaluer le nombre d’étoiles ou de planètes qui s’y trouvent. Impuissants à pleinement comprendre les objets matériels qui nous entourent de toutes parts, comment pourrions-nous saisir le Seigneur Suprême, Créateur de l’Univers? C’est impossible. D’où ce passage de la Brahma-samhitâ (5:34) :
vâyor athâpi manaso muni-pungavânâm
so ‘py asti yat-prapada-sîmny avicintya-tattve
govindam âdi-purusam tam aham bhajâmi
L’espace étant infini, la Brahma-samhitâ suggère un voyage, à bord d’un astronef, qui durerait des millions d’années à la vitesse du vent ou de la pensée. Tous savent que la pensée est si rapide qu’elle peut nous transporter, en moins d’un dix-millième de seconde, à une distance de millions de milles. Si nous avons eu l’occasion de voir quelque chose à une distance de millions de milles, nous pouvons nous y transporter immédiatement par la pensée. Mais même si nous pouvions voyager à pareille vitesse grâce à un astronef construit par les plus grands savants, les plus grands cerveaux (muni-pungavânâm), serait-ce la perfection? Non. Selon la Brahma-samhitâ : so ‘py asti yat-prapada-sîmny avicintya-tattve – la Création demeurerait tout aussi inconcevable pour nous. Krishna ayant créé tout cela, comment pourrions-nous L’étudier? Incapables de comprendre Ses créations, comment pourrions-nous comprendre Krishna? C’est tout simplement impossible.
La mentalité qui règne à Vrindâvan convient donc parfaitement aux dévots. Les habitants de Vrindâvan ne se soucient guère de comprendre Krishna. Ils préfèrent L’aimer de façon inconditionnelle. Ce n’est pas qu’ils pensent : » Krishna est Dieu; par conséquent, nous L’aimons. » À Vrindâvan, Krishna ne joue pas le rôle de Dieu, mais bien celui d’un petit pâtre comme les autres. Même s’Il démontre parfois Sa Divinité, les dévots n’y prennent pas garde.
Kuntîdevî n’habitait toutefois pas à Vrindâvan, mais à Hastinâpura (New Delhi). Les dévots qui vivent ailleurs qu’à Vrindâvan étudient la grandeur des habitants de Vrindâvan, qui ne se soucient guère de la grandeur de Krishna. Voilà ce qui les distingue entre eux. Notre seul souci doit être d’aimer Krishna. Plus nous l’aimerons, plus grande sera notre perfection. Pas besoin de comprendre Krishna ou comment Il opère la Création. Krishna S’explique dans la Bhagavad-Gîtâ, et cela devrait nous suffire. Ne nous creusons pas trop la tête pour comprendre Krishna, car il n’est pas possible de le comprendre. Intensifions simplement notre amour sans mélange pour Lui : telle est la perfection de l’existence.
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