BLAISE PASCAL
(1225-1274)
Dans l’entretien qui suit, Hayagriva das (Prof. Howard Wheeler) présente la philosophie de Blaise Pascal à Sa Divine Grâce A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupada ( Fondateur-Acharya du Mouvement pour la Conscience de Krishna ) qui la compare à la pensée védique.
Traduction française: Priya Bhakta das (Denis Bernier)
Hayagriva: Pascal voit l’homme situé dans l’Univers entre deux extrêmes: l’infini et le néant. L’homme a un corps comme les animaux et un intellect comme les anges ou les dévas. Comme tel, il n’est ni ange ni bête mais se situe quelque part entre les deux. Il est assez intelligent pour savoir que sa condition est misérable, malgré son désir ardent d’être heureux. L’ homme se livre à toutes sortes de divertissements et de distractions pour oublier sa misère, mais en fin de compte, rien n’y fait. Ce que l’homme possédait mais a désormais perdu c’est le bonheur parfait. Tous les hommes souffrent et se plaignent, peu importe leur condition; Pascal croit que le vide que ressent l’homme ne peut être comblé que par Dieu.
Srila Prabhupada: En effet. Vie après vie, l’être poursuit le bonheur mais il sombre toujours plus dans la morosité car il ne prend pas refuge en Krishna. Il invente de nouvelles façons de se divertir; il parcourt les profondeurs sous-marines et l’espace et Dieu lui procure toutes facilités requises. « Tu veux t’envoler, deviens un oiseau; Préfères-tu la plongée? Deviens un poisson ». Parfois, après avoir essayé diverses manières de trouver le bonheur, l’être renoncera à ses projets et s’en remettra à Krishna qui lui dit: « Abandonne-toi à Moi; Je te rendrai heureux » (BG 18.66) . Dieu vient Lui-même dans la personne de Râmacandra, Krishna et Chaitanya Mahâprabhu pour nous enseigner comment pratiquer cet abandon et accéder au bonheur.
Hayagriva : Tandis que Descartes souligne l’importance de la raison, Pascal croit que les principes compris du coeur s’avèrent absolument certains et adéquats pour surmonter tout scepticisme et doute. Est-ce parce que la voix de l’Âme Suprême retentit dans le coeur?
Srila Prabhupada: Oui. Krishna dit dans la Bhagavad-gita (BG 10.10) : « Ceux qui toujours Me servent et M’adorent avec amour et dévotion, Je leur donne l’intelligence par quoi ils pourront venir à Moi. » Chaque être vit avec Dieu, mais dû à l’ignorance il n’en sait rien. Comme nous l’avons déjà dit, deux oiseaux sont perchés sur l’arbre du corps. L’un en goûte les fruits, l’autre l’observe simplement. Dieu nous instruit sur le retour à notre demeure originelle; le non-dévot, toutefois, refuse ces instructions. Le dévot s’en tient strictement aux ordres de Dieu alors que les démoniaques agissent selon leur fantaisie, même s’ils connaissent les désirs de Dieu. Il ne fait aucun doute que Dieu nous donne Ses instructions : extérieurement à travers Son agent (le maître spirituel) et les Ecritures, intérieurement par la conscience, l’ Âme Suprême.
Shyamasundara: Pascal est un mystique qui croit profondément en Dieu mais il est aussi sceptique dans ce sens qu’il estime que nous ne pouvons démontrer Son existence à l’aide de notre raison ou de tout autre manière. Par conséquent, il insiste que nous devons croire en Dieu avec notre coeur.
Srila Prabhupada: C’est un fait. Nos sens matériels ne peuvent nous aider à prouver l’existence de Dieu. Le Padma Purâna dit: « Les sens matériels ne peuvent apprécier le Saint Nom, la Forme, les attributs et les divertissements de Krishna. Lorsque l’âme conditionnée s’éveille à la conscience de Krishna et utilise sa langue pour chanter le Saint Nom du Seigneur et goûter les reliefs de la nourriture qu’on Lui offre (prasâdam), celle-ci s’en trouve purifiée et l’âme en vient graduellement à comprendre en vérité Krishna. » Les sens sont inaptes à apprécier Dieu; si vous aspirez à Le connaître, vous devez Lui offrir quelque service. Alors Il se fera connaître à vous. Plus nous Le servons, plus Dieu Se révèle. Nos sens ne peuvent Le percevoir; aussi Le nomme-t’on Adhoksaja: Celui qui demeure au-delà de la portée des sens. Nous adorons la Forme de Dieu dans le temple (murti); mais le bas matérialiste ne pourra jamais comprendre par sa perception sensorielle que cette Forme est Dieu. Il dira que ce n’est qu’une statue. Il faut donc croire en Dieu avec notre coeur. Voilà pourquoi l’athée ne voit qu’une statue sur l’autel.
Shyamasundara: Pascal dit: « Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. »
Srila Prabhupada: C’est vrai, la raison n’est qu’un instrument; elle n’a rien de final. Le cerveau, par exemple, est un instrument au même titre qu’un magnétophone. Derrière la raison se trouve l’intelligenec et derrière celle-ci, l’âme.
Hayagriva: Pascal croit à la doctrine du péché originel qui maintient qu’un jour l’homme perdit la grâce en commettant quelque péché, d’où sa positon actuelle entre les anges et les bêtes. En d’autres mots, le péché originel explique l’emprisonnement de l’homme dans la matière.
Srila Prabhupada: Telle est aussi notre philosophie.
Hayagriva: Quel fut ce péché originel?
Srila Prabhupada: La désobéissance, le refus de servir Krishna. Parfois le serviteur pense: « Pourquoi servir ce maître? Je dois devenir moi-même un maître. » L’être vivant fait éternellement partie intégrante de Dieu et son devoir consiste à Le servir. Lorsqu’il pense: « Pourquoi servirais-je Dieu? Jouissons plutôt de la vie », il provoque sa chute. Le péché originel consiste ainsi à refuser de servir Dieu et à s’efforcer d’usurper Sa position. Les Mâyâvâdîs, par exemple, cherchent encore à être Dieu, malgré leur connaissance et philosophie. Si on pouvait devenir Dieu par la méditation ou quelque effort matériel, le mot Dieu perdrait toute signification. On ne peut devenir Dieu. D’essayer malgré tout marque le début de vie pécheresse; c’est le péché originel.
Hayagriva: Pascal croit que l’homme ne saurait concevoir l’Univers ou la position qu’il y occupe. On ne peut chercher de certitude ou de stabilité dans l’Univers matériel puisque nos facultés sont toujours induites en erreur. L’homme doit donc s’en remettre à la voix de son coeur et à Dieu.
Srila Prabhupada: Telle est notre position, sauf que nous ne nous fions pas à notre coeur car les non-dévots ne peuvent en apprécier la voix. La Bhagavata-Gita nous offre des instructions directes que nous explique le maître spirituel. Si nous suivons les conseils de Dieu et de Son représentant, nous ne serons pas induits en erreur.
Hayagriva: De toutes choses en ce monde, voici la plus étrange selon Pascal: « L’homme sombrera pendant plusieurs jours et nuits dans la rage et le désespoir, s’il perd son emploi ou s’il s’imagine qu’on l’a injurié. Pourtant, il ne songe pas avec émotion et angoisse qu’il perdra tout aux mains de la mort. N’est-ce pas scandaleux de voir simultanément un coeur si sensible à de telles vétilles et si étrangement insensible aux choses les plus importantes (comme la mort). C’est un enchantement incompréhensible et un sommeil surnaturel qui indique sa cause toute-puissante. »
Srila Prabhupada: Selon la Bhagavad-gita, Dieu apparaît sous la forme de la mort aux incroyants et à ceux qui Lui désobéissent (BG 9.34) . Tout pouvoir, orgueil, rêve ou projet est alors anéanti, après quoi on obtiendra peut-être un corps de bête pour avoir voulu imiter l’animal en cette vie. Ainsi s’opère la transmigration de l’âme, source de sa souffrance.
Hayagriva: Pascal écrit: « Si nous soumettons tout à la raison, notre religion perd tout élément de mystère, de surnaturel. Si nous offensons les principes de la raison, elle sera absurde et ridicule. »
Srila Prabhupada: C’est un fait. Les commandements de Dieu constituent la religion; celui qui les garde est religieux. Les pseudo-religions, les religions fallacieuses, sont condamnées par le Srimad-Bhagavatam (SB 1.1.2) . Toute religion sans conception de Dieu, qui change annuellement de résolutions, n’est pas une religion, mais une farce.
Hayagriva: Pascal semble dire qu’il ne faut pas croire aveuglément, mais en même temps, il ne faut pas espérer que tout sera à la portée de notre compréhension.
Srila Prabhupada: Exactement. Le père peut demander à son enfant de faire quelque chose, même si celui-ci n’y comprend rien. De toute façon, nous comprenons que les plans du père sont parfaits et bénéfiques pour son fils. Si ce dernier dit: « Non, je n’ai aucun désir d’obéir », ce sera peut-être sa perte. Les instructions de Dieu constituent la religion ; pas question toutefois de les suivre aveuglément. Nous devons comprendre la nature de Dieu et réaliser qu’Il est infiniment parfait. Ainsi pourrons-nous comprendre que toutes Ses paroles sont parfaites elles aussi et que nous devrions les accepter. Si nous appliquons notre raison limitée à essayer de changer Ses instructions selon notre fantaisie, nous en souffrirons.
Shyamasundara: Pascal déclare que par foi nous devons faire une option inéluctable, ou ce qu’il appelle un pari religieux. Nous devons soit tout miser sur Dieu, dans ce cas, nous n’avons rien à perdre en cette vie et tout à gagner dans la suivante, soit nier Son existence et compromettre notre position éternelle.
Srila Prabhupada: Tel est notre raisonnement. Si deux personnes ne connaissent pas Dieu, l’une pourra dire qu’Il existe et l’autre prétendra le contraire. Accordons-leur donc chacune leur chance. Celle qui déclare qu’Il n’existe pas bannit toute l’affaire de son esprit, mais l’autre doit se montrer prudente. Elle ne peut faire preuve d’irresponsabilité. Si Dieu existe vraiment, elle ne peut courir de risques. En fait, elles courent toutes deux un risque car ni l’une ni l’autre ne sait en toute certitude s’il y a un Dieu. Toutefois, mieux vaut croire.
Shyamasundara: Pascal dit que nous avons une chance sur deux de gagner.
Srila Prabhupada: Prenez donc cette chance.
Shyamasundara: C’est aussi ce que préconise Pascal. Nous n’avons rien à perdre mais tout à gagner.
Srila Prabhupada: Précisément. Nous conseillons aux gens de chanter Hare Krishna. Puisque vous n’avez rien à perdre et tout à gagner, pourquoi ne pas chanter : Hare Krishna Hare Krishna, Krishna Krishna, Hare Hare / Hare Rama, Hare Rama, Rama Rama , Hare Hare?
Shyamasundara: Le pari religieux de Pascal repose sur l’hypothèse que Dieu punira l’individu qui refuse de croire en Lui et récompensera celui qui croit.
Srila Prabhupada: Dieu est cette Personne Suprême qui récompense et châtie selon le cas. Le Seigneur Vishnu tient en effet quatre symboles dans Ses mains: la conque et le lotus servent à protéger les dévots alors que la masse et le disque frappent les non-dévots.
Hayagriva: Pascal écrit aussi: « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable… Ces misères prouvent la grandeur de l’homme. Ce sont misères de grand seigneur, misères d’un roi dépossédé. » [Pensées de Pascal, 397- 398]
Srila Prabhupada: Le Srimad-Bhagavatam souligne que bien que nous cherchions à vivre longtemps, l’arbre vit plus d’années encore que l’homme ( SB 2.3.18) . Cela signifie-t’il que l’arbre aurait atteint la perfection? Nous pouvons ainsi analyser diverses conditions de vie pour comprendre que la perfection consiste à développer la conscience divine et à connaître Dieu et la relation qui nous unit à Lui.
Hayagriva: Pour Pascal, la connaissance ne s’acquiert qu’en subjuguant les passions, en se soumettant à Dieu et en acceptant Sa révélation. Pascal s’estime chrétien.
Srila Prabhupada: Sans religion, on demeure un animal. Jamais l’animal ne parle de Dieu ou n’éprouve le moindre sentiment religieux. Présentement, la société se dégrade car les gouvernement interdisent les discussions sur Dieu dans les écoles et collèges. Cela ne fera qu’accroître la souffrance.
Hayagriva: Bien qu’on le considère comme un grand philosophe, Pascal conclut que la philosophie en elle-même ne mène qu’au scepticisme. La foi est donc aussi requise. « Ecoutez Dieu » était sa devise préférée.
Srila Prabhupada: La philosophie consiste à comprendre la vérité. Parfois, certains philosophes perdent leur temps à spéculer sur la sexualité et se dégradent donc. Or, la sexualité existe autant chez l’animal que chez l’homme. Elle ne représente pas la vie même; elle n’en est qu’un symptôme. Si nous n’accordons d’importance qu’à ce symptôme, les résultats n’auront rien de philosophiques. La philosophie consiste à dévouvrir la Vérité Absolue, le vrai sujet de la philosophie: Brahman, Paramâtmâ et Bhagavân.
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