Un mal pour un bien

 

Parmi ses conseillers, un souverain comptait
Un homme réputé pour sa grande sagesse.
Pour l’avoir éduqué, le moine connaissait
Du monarque impétueux, qualités et faiblesses.

Au cours d’une bataille, une flèche égarée,
Sectionne la phalange d’un des doigts du guerrier.
Son orgueuil et sa main tout aussi mutilés,
Il retourne son ire contre la destinée:

« Je devais d’ici peu livrer un grand combat
Contre le plus haïs de mes pires ennemis!
Sans ce stupide sort qui s’acharne sur moi,
J’aurais défait celui qui me lance un défi. »

Le ministre appelé au chevet du blessé,
S’efforce d’apaiser le guerrier courroucé:
 » La providence agit de façons détournées
Que parfois on saisit après bien des années. »

« Vous devriez y voir un mal pour un bien,
Je ne peux dire pourquoi, mais j’en ai l’intuition. »
-« Je te croyais ministre et non pas grand devin!
Pour m’avoir tenu tête, qu’on le jette en prison! »

A quelques temps de là, remis de ses blessures,
Retrouvant la santé et le goût de la chasse,
Notre têtu s’en va et tout seul s’aventure
Sur la piste d’un cerf dont il a vu les traces.

Cette quête le mène vers une forêt sombre,
Epaisseur inquiétante et inhospitalière.
Un groupe de brigands dissimulés dans l’ombre,
Dix paires d’yeux épient le chasseur solitaire….

On se jette sur lui, et on le met par terre.
On lui bande les yeux et attache ses mains.
Puis en colonne on prend le chemin du repaire,
Caché dans la montagne, d’un puissant magicien.

La mystérieuse troupe est une confrérie
De fervents pratiquants de sacrifices humains.
Cette prise opportune excite les esprits:
« Une offrande royale, quel fabuleux butin! »

Dans l’antre qu’illumine la lueur de flambeaux,
Sur un autel de pierre tout de sang maculé,
Le grand prêtre s’apprète à planter son couteau
Dans le coeur du monarque sur le point de crier.

Il s’arrête soudain, déclarant péremptoire:
« L’offrir à la déesse risque d’être insultant.
Nous aurions dû avant nous en apercevoir,
Mais sur l’un de ses doigts, il manque un élément. »

« Aux  yeux de notre mère, ce serait un affront
De recevoir ce corps lors qu’il est mutilé.
De ses biens matériels nous nous contenterons.
Dans la tenue d’Adam, laissez-le s’en aller. »

Sans demander son reste, le rescapé s’enfuit
A travers la forêt revêtu de feuillages
De son sage ministre,il pense avoir compris,
Concernant le destin, les sagaces adages.

De retour au palais, le roi fait, sur le champ,
Venir le prisonnier enfermé indûment.
« Pardonne mon erreur, car je vois maintenant,
Le destin en action, sous ses déguisements. »

-« Cet « injuste » séjour dans un cul-de-basse-fosse,
M’a été bénéfique si on y réfléchi bien!
De penser le contraire serait une idée fausse. »
Ce nouveau point de vue trouble le souverain.

« Pour les parties de chasse, je suis à vos côtés
Et aurais moi aussi connu cette aventure.
Sans une égratignure, tout mon corps est entier,
M’offrir à la déesse n’était pas une injure…….



Catégories :Fables védiques et autres

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