Retrouver sa position originelle extatique de serviteur de Dieu
par Jagadananda das
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DEUXIEME CHAPITRE
Servir Krishna ou servir ses sens?
Résumé du chapitre précédent: Le chapitre un posait la question de savoir si nous étions plutôt maître ou serviteur de nature. La réponse suivante était donnée: par nature, nous sommes faits pour servir et cette tendance naturelle doit, pour être pleinement satisfaisante être dédiée à Dieu, la Personne Suprême.
Dans ce deuxième chapitre intitulé » Servir Krishna ou servir ses sens? », on explique que si l’on refuse de dédier cette propension naturelle à servir, à Dieu, alors il nous faudra tout de même servir, mais cette fois son énergie matérielle appelée l’énergie d’illusion ou mâyâ. La façon dont cette énergie d’illusion agit est qu’elle nous amène à se croire faussement indépendant de Dieu et heureux sans Lui. Son action prend deux formes: elle recouvre l’intelligence de l’être et elle le tire vers le bas, le dégrade de plus en plus.
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Même si la condition normale et originelle de l’homme et de tous les êtres vivants est d’être serviteur, il n’en est pas moins vrai que le choix existe entre servir Dieu ou servir autre chose. Cependant, si le choix de servir autre chose que Dieu, paraît être ouvert à tous, il n’est qu’apparent.
En d’autres mots, servir autre chose que Dieu est une illusion car tout ici représente Ses différentes énergies et on ne peut donc servir que de deux façons: Dieu directement ou Dieu indirectement. Servir Dieu directement signifie Le servir dans le cadre de Son service d’amour et de dévotion sous la direction d’un maître spirituel authentique. Et servir Dieu indirectement veut dire que l’on sert Ses Energies, plutôt que Lui, et précisément son énergie externe mâyâ (1) . Dans le cas du service directe de Dieu, le serviteur est conscient et favorable. Dans le deuxième cas, il est ignorant (recouvert par l’illusion) et défavorable. Mais dans les deux cas il ne serait être question, à aucun moment, d’être séparé de Dieu . Cette séparation n’a lieu qu’en terme d’agissement et de conscience et n’est en fait qu’illusoire. L’un est conscient de Dieu, conscient de Krishna, et l’autre ne l’est pas.
Le fait que tout émane et retourne à Dieu, est clairement exprimé à travers toutes les Ecritures védiques. Dans le Vedanta sutra et le Srimad Bhagavatam, il est dit : Dieu, le Brahman Suprême est tout; de Lui la manifestation cosmique émane, par Lui elle est maintenue et par Lui, à la fin, est détruite :
om janmâdy asya yatah; Le Brahman ( l’Être Suprême) est Celui dont la création des univers matériels émane, est maintenu et détruite. Vedanta-sutra (1.1.2) et SB (1.1.1)
Ainsi, tel que l’aphorisme védique le confirme, Dieu est tout:
sarvam khalv idam brahma : « Tout, (à la fois la matière et les êtres vivants) sont non-différents de Dieu, la Personne Suprême qui est le Suprême Brahman. »
Il ne faut pas croire cependant que la manifestation cosmique et les êtres vivants qui la compose sont l’égal de Dieu en Personne . Ce point est présenté clairement par Sri Krishna dans la Bhagavad-gita et dans le Srimad Bhagavatam:
mayā tatam idaḿ sarvaḿ
jagad avyakta-mūrtinā
mat-sthāni sarva-bhūtāni
na cāhaḿ teṣv avasthitaḥ
« Cet univers est tout entier pénétré de Moi, dans Ma forme non manifesté. Tous les êtres sont en Moi, mais Je ne suis pas en eux. (Bhagavad gita 9.4)
idam hi viśvam bhagavān ivetaro
yato jagat-sthāna-nirodha-sambhavāh
» Le Seigneur Suprême, Dieu, bien qu’Il soit Lui-même cet univers, ne S’en trouve pas moins au-delà. De Lui seul provient la manifestation cosmique, en Lui elle repose, et en Lui elle se résorbe après sa destruction. »
(SB 1.5.20)
Ainsi il convient, pour percevoir les choses dans leur juste perspective, de comprendre que Dieu, la Personne Suprême, Krishna ou Govinda est l’origine, le maître et le souverain de nombreuses Energies (shaktis), identiques à Sa personne, mais que simultanément Lui-même existe distinctement de Ses Energies (2) . A aucun moment donc, comme le prétendent les impersonnalistes-mayavadis, Dieu ne perd Sa personnalité et Se dissout dans Sa création ou dans le Brahman impersonnel.
Cette similitude et cette différence simultanée de Dieu avec Ses Energies se nomme en terme védique achintya bhedâbheda-tattva: Dieu est simultanément et inconcevablement différent et non-différent de Ses Energies.
Les Energies de Krishna sont multiples et complexes mais dans les Ecritures védiques elles sont divisées en trois catégories: l’Energie inférieure ou externe, l’Energie supérieure ou interne et l’Energie marginale.
Dieu, encore une fois, est donc à la fois identique et distincte de Ses différentes énergies qui constituent tout ce qui existe en ce monde comme dans l’autre.
Dans la Bhagavad-gita Krishna révèle que la création matérielle, avec ces éléments (la terre, l’eau, le feu, l’air et l’éther) émanent de Lui et constituent Son énergie inférieure (Bg 7.4).
Dans la Bhagavad-gita encore, Krishna révèle, qu’au-delà de Son énergie matérielle, inférieure, existe une autre énergie, Son énergie supérieure, constituée de tous les êtres vivants. Les êtres vivants sont dits supérieurs à l’énergie matérielle car ils sont contrairement à cette dernière, conscients, et ils animent l’énergie matérielle qui autrement resterait inerte. D’autre part, ils doivent lutter aussi avec l’énergie matérielle (Bg 7.5) .
Le fait que les entités vivantes appartiennent en essence à l’énergie supérieure de Dieu mais peuvent être simultanément conditionnées par l’énergie inférieure font qu’elles rentrent aussi dans la troisième catégorie : l’énergie marginale.Cette énergie marginale se réfère donc aux âmes conditonnées. Les êtres vivants de par leur nature essentiellement spirituelle appartiennent à l’énergie supérieure de Dieu, tel que le verset précédent de la Bhagavad-gita l’a mentionné, mais de par leurs désirs pervertis de suprématie et de gain, plutôt que de service à Krishna, ils sont tombés sous l’égide de l’énergie matérielle (aparâ shakti).
Tous ces points philosophiques importants sont abordés par Chaitanya Mahâprabhu dans le Chaitanya Caritamrta dans le chapitre où le Seigneur instruit Sanâtana Gosvami sur la constitution originelle des êtres vivants (Cc Madhya chapitre 20).
Dans ce chapitre, le Seigneur Chaitanya cite à plusieurs reprises le Visnu Purâna pour définir les trois catégories d’énergie de Dieu, dont l’énergie marginale qui est qualifié d’énergie d’illusion:
viṣṇu- śaktiḥ parā proktā
kṣetrajñākhyā tathā parā
avidyā-karma-saṁjñānyā
tṛtīyā śaktir iṣyate
« L’énergie de Krishna est fondamentalement spirituelle, de même que l’énergie constitutée par les êtres vivants. L’illusion, la troisième énergie du Seigneur, est quant à elle constituée de l’ action intéressée. »
Visnu Purâna (6.7.61)
On retrouve encore une fois dans ce verset du Visnu Purana les trois formes d’énergies décrites inférieure, supérieure et marginale, et si l’énergie matérielle (terre, eau, feu, etc..) est considérée dans ce verset du Visnu Purâna comme fondamentalement spirituelle c’est que d’une part elle émane du Seigneur (Visnu-sakti), et d’autre part qu’elle peut être spiritualisée très facilement dès qu’elle est utilisée au service du Seigneur.
Quant à la troisième forme d’énergie, une distinction est clairement faite avec les deux autres. Alors que celles-ci sont définies comme spirituelles, cette troisième énergie est appelée avidyâ-shakti, ou énergie d’ignorance et d’illusion.
Servir Krishna ou servir Mâyâ: pas de troisième option
Si l’être vivant par nature est serviteur de Dieu, de par son libre choix il a la possibilité de servir Dieu ou de ne pas Le servir.
Mais si le libre choix pour l’être vivant semble se présenter librement et sans difficulté, entre servir Dieu et ne pas le servir, la réalité est tout autre. Car dès que l’être vivant tourne le dos à Dieu et à Son service de dévotion (qui participe de l’énergie interne de Dieu), il est immédiatement capturé par la troisième énergie de Dieu: l’énergie d’illusion, Mâyâ.
krsna-bahirmukha hañā bhoga-vāñchā kare
nikata-stha māyā tāre jāpatiyā dhare
« A l’instant même où l’on tourne le dos à Krishna et à Son service de dévotion, désirant plutôt s’adonner aux plaisirs des sens, immédiatement l’on est saisit par l’énergie d’illusion du Seigneur et tombe victime de celle-ci. »
Prema vivarta
Ainsi, dès que l’être se détourne de Dieu et de Son service de dévotion, il tombe immédiatement sous l’emprise de kâma, la convoitise matérielle. Par nature l’être vivant comme l’explique clairement la Bhagavad-gita est fait pour agir et ne peut s’astreindre à l’inaction même pour un instant (Bg 3.5) . Ainsi, si l’on ne sert dans le cadre du service de dévotion offert à Dieu, le bhakti-yoga, on devra servir tout de même mais cette fois sous l’influence de l’énegie illusoire, de la concupiscence et de l’avidité.
La concupiscence et l’avidité sont liées à tamas (les ténèbres de l’ignorance) et rajas (la passion). Pour définir convenablement la différence qui existe entre servir Dieu et servir mâyâ, son énergie d’illusion, la métaphore du soleil et de l’obscurité, telle que présentée dans le Chaitanya Caritamrta, s’impose:
krsṇa — sūrya-sama; māyā haya andhakāra
yāhāń krsna, tāhāń nāhi māyāra adhikāra
Dieu, Krishna, est comparé au soleil et mâyâ à l’obscurité. Là où Dieu et Son service de dévotion sont absents, Son énergie d’illusion, mâyâ, certainement règne en puissance. Ainsi, en rejettant le soleil de Krishna, on tombe irrémédiablement dans les ténèbres de mâyâ. Chaitanya-caritamrta Mad. 22.31
Cette métaphore, outre sa forme esthétique exceptionnelle, est parfaite en tout point. Le soleil certainement maintient l’univers. Sans lui l’univers serait dépourvu de vie et d’activité. De même le Seigneur Suprême maintient l’univers:
eka-deśa-sthitasyāgner
jyotsnā vistārinī yathā
parasya brahmanaḥ śaktis
tathedam akhilaḿ jagat
« Toute manifestation cosmique n’est que l’énergie du Seigneur Suprême. Comme le soleil qui, d’où il brûle, diffuse tout autour sa lumière et sa chaleur, le Seigneur – qui Se trouve en un point donné du monde spirituel – déploie et manifeste partout Ses différentes énergies. En vérité, la Création entière est constituée de diverses manifestations de Son énergie. »
(Visnu Purâna 1.2.52)
Poursuivant la métaphore du soleil plus avant; les nuages qui recouvrent le soleil (ou plutôt notre vision du soleil car celui-ci est situé des millions de kilomètres au-dessus et ne saurait donc jamais être recouvert par les nuages) représentent aussi mâyâ, l’énergie d’illusion de Dieu. Ainsi, les nuages de l’ignorance recouvre notre véritable vision, et tout comme ceux-ci sont produits par le soleil, Dieu est aussi à l’origine de mâyâ.
Les nuages sont directement produits par le soleil. Il évapore l’eau des océans qui est maintenue en suspension dans le ciel avant d’être redistribuée sous forme de pluies, lesquelles fournissent l’eau nécessaire à toute forme de vie.
Donc, tout comme le soleil est à l’origine des nuages qui le recouvrent ensuite, Krishna est aussi à l’origine des nuages de l’ignorance (athéisme, matérialisme, impersonnalisme,…) qui Le dissimule à la connaissance des êtres vivants:
nāhaḿ prakāśaḥ sarvasya
yoga-māyā-samāvrtaḥ
mūdho ‘yaḿ nābhijānāti
loko mām ajam avyayam
« Je ne Me montre jamais aux sots ni aux insensés ; par Ma puissance interne [yoga-maya], Je suis pour eux voilé. Ce monde égaré ne Me connaît donc point, Moi le Non-né, l’Impérissable. »
(Bhagavad-gita 7.25)
avajānanti māḿ mūdhā
mānusīḿ tanum āśritam
paraḿ bhāvam ajānanto
mama bhūta-maheśvaram
« Les sots Me dénigrent lorsque sous la forme humaine Je descends en ce monde. Ils ne savent rien de Ma nature spirituelle et absolue, ni de Ma suprématie totale. » (Bhagavad-gita 9.11 )
Nature et fonction de mâyâ-shakti
1) L’illusion d’être indépendant de Dieu
Le choix n’existe donc qu’entre servir Krishna et servir mâyâ, son énergie d’illusion ou dans un langage cru: servir Krishna ou tomber dans mâyâ. Si cette réalité des choses demeure largement méconnue c’est pour une raison très simple: mâyâ a pour rôle principal de plonger les êtres vivants dans l’oubli de Dieu et, par là même, dans la conviction d’être indépendant et heureux sans Lui.
Mais cette action de mâyâ-shakti – l’énergie de mâyâ – , ne peut se produire que si l’intelligence et le coeur de l’être devient recouvert par l’illusion. Car Dieu et Ses multiples énergies étant omniprésents, l’indépendance de l’être vis-à-vis du Seigneur Suprême demeure parfaitement impossible. Il existe donc une fonction de mâyâ qui porte le nom de avaranâtmika-shakti et qui signifie « recouvrir ».
Cette action de mâyâ-shakti, qui consiste à voiler Dieu, en voilant le coeur et l’intelligence des êtres vivants, est compréhensible car l’être vivant, exerçant par là sa relative indépendance, vient en ce monde matériel pour oublier la suprématie de Dieu afin de tenter d’exercer plutôt la sienne.
Le fait qu’un choix existe entre servir Dieu, et ne pas Le servir, est la manifestation de l’amour de Krishna vis-à-vis de tous les êtres vivants. Il ne pourrait autrement être question d’amour et de dévotion entre Krishna, le Seigneur Suprême, et Ses parcelles spirituelles infimes, s’Il ne leur donnait le choix de Le servir ou de ne pas Le servir. Krishna respecte l’indépendance de tous et favorise l’oubli comme le souvenir de Sa personne, si tel est leur choix.
sarvasya cāham hrdi sannivisto
mattaḥ smrtir jñānam apohanam ca
« Je Me tiens dans le coeur de chaque être, et de Moi viennent le souvenir, le savoir et l’oubli ».
Bhagavad-gita 15.15
L’être vivant, à l’origine, appartient au Royaume de Dieu. Ce Royaume spirituel est appelé Vaïkuntha et est constitué des planètes Vaïkuntha et de la planète la plus élevée de toute, Goloka Vrndâvana (3) . Là, sur la planète spirituelle de Goloka Vrndâvana, Sri Krishna, Dieu, dans Sa forme fascinante de Shyâmasundara, plus séduisante que celle de millions de kandarpas , dessinant trois lignes courbes, la tête ornée d’une plume de paon, tenant dans Sa main une flûte, s’adonne à Ses divertissements sublimes, éternels, en compagnie de Ses purs dévots (voir Govindam ). Il est le centre d’attraction de tous les résidents de Goloka Vrndâvana. Quant à Ses multiples Emanations pleinières de Narâyanas, à quatres bras; chacune d’entre elles règnent sur une des innombrables planètes spirituelles de Vaikuntha. Krsnaloka (Goloka Vrndâvana) et les planètes de Vaikuntha représente le Royaume de Dieu, éternel et rempli de félicité, dans lequel Krishna et Ses Emananations pleinières de Narâyana, jouissent d’une suprématie totale.
Dans le monde spirituel il n’y a donc aucune possibilité pour l’être vivant d’oublier le Seigneur Suprême et d’exercer « sa supématie ». Pour cela, il doit se rendre dans le monde matériel. La manifestation matérielle, bien qu’elle renferme d’innombrables univers, ne couvre qu’une infime partie du monde spirituel. Elle forme comme un nuage dans le ciel clair du monde spirituel, où l’éclat du Brahman est partout répandu, où partout resplendit la lumière spirituelle. Le monde matériel est tantôt créé et tantôt détruit alors que le monde spirituel, lui, existant de toute éternité, et n’ayant ainsi jamais été créé, n’est jamais non plus détruit.
Pour revenir au sujet qui nous occupe – l’action de mâyâ shakti sur les êtres vivants et le fait qu’elle recouvre l’être de l’illusion d’être indépendant de Dieu -, ce que nous venons de décrire concernant l’existence de deux univers parallèles, le monde spirituel, éternel et réel, et le monde matériel, temporaire et illusoire, illustre bien cette action particulière de l’énergie de Krishna.
Pour ceux qui désirent L’imiter plutôt que de Le servir avec amour et dévotion, Dieu crée le monde matériel. Un peu comme un père, dont le jeune fils qui chercherait à l’imiter et voudrait comme lui conduire, procurerait une petite voiture d’enfant en plastique, propulsée par un petit moteur, à son jeune fils. Il n’est pas question pour le jeune enfant de conduire une véritable voiture, il n’en a pas la capacité, son père lui procure alors une imitation, un jouet avec lequel l’enfant pourra se prendre pour un véritable conducteur.
De la même façon, l’être vivant, parcelle de Dieu, cherche à imiter son Père, le Seigneur Suprême. Krishna crée alors, dans le but de satisfaire ses désirs concupiscents le monde matériel, une simple imitation du monde spirituel, un simple reflet de celui-ci.
2) L’illusion d’être heureux sans Dieu:
On a déjà mentionné précédemment quelques analogies comparant Dieu avec le soleil mais il en existe de nombreuses autres dans les Ecritures védiques. Reprenant cette analogie ici, peut-on dire qu’il est possible de vivre heureux en étant privé de la lumière du soleil? De la même façon, privé de la compagnie et du service du Seigneur Suprême, réservoir de toutes les rasas (échanges d’amour), l’entité vivante, cette parcelle éternelle de Dieu, ressent un manque profond dans son coeur. Mais sous l’influence de kama, la convoitise qui règne en maître sur son coeur, elle reporte ce manque profond sur la matière (voir BG 3.39). Et ainsi, à cause de l’action de l’énergie illusoire de Krishna (avaranâtmika shakti) qui recouvre son coeur et son intelligence, l’être incarné malgré tout parvient à se croire heureux en toutes circonstances:
Cette influence de mâyâ est connue sous le nom d’avaranâtmika shakti, car elle est si puissante que l’être distinct se trouve heureux dans n’importe quelle condition, si abominable soit-elle. Même s’il naît en tant que ver intestinal, dans l’urine et les excréments, il est satisfait de son état. Tel est l’effet illusoire de mâyâ. (SB 3.30.4).
C’est cette même mâyâ qui lui fera penser: » Je suis heureux dans ma famille, entouré de ma femme, de mes enfants, de mes parents, de mes amis, ma religion, ma maison, mon pays… » Ainsi, mâyâ recouvre son intelligence, sa mémoire, et lui fait oublier qu’il a déjà eu, dans des milliers d’autres vies, d’autres femmes (ou hommes quand il était femme) d’autres enfants, d’autres parents, d’autres pays, et qu’à chaque fois il avait le même sentiment illusoire d’appartenance et d’intimité avec une famille particulière, une communauté donnée, un pays précis et même une planète spécifique. Et, à chaque fois, s’identifiant à son corps matériel et à tout ce qui lui était relié – et vient d’être cité -, malgré le fait qu’au moment de la mort il a beaucoup souffert d’en être séparés, il a continué sur la même voie du sempiternel recommencement.
Mâyâ donne l’illusion de la fraîcheur des choses quand, en réalité, on ne fait que recommencer et goûter sans cesse les mêmes choses et faire face aux mêmes déboires dans le répertoire restreint de la jouissance matérielle. Ainsi, selon l’expression parfaite du Bhagavatam, dans ce monde matériel, bien que l’être a l’espoir d’être heureux il ne fait en fait que « mâcher le déjà mâché » . Vie après vie on ne fait que boire le même vin ancien, toujours le même, ce n’est que la bouteille qui change. La vie matérielle se résumera toujours, sous quelque forme que ce soit, d’une façon plus ou moins raffinée, à essayer d’être heureux en s’efforçant de jouir des sens matériels à travers quatre activités principales: manger, dormir, s’accoupler et se défendre.
SUITE: Le service de mâyâ et ses conséquences
(1) Le mot mâyâ désigne les énergies de Dieu en général et l’énergie d’illusion du Seigneur en particulier. Ainsi, dès que l’être vivant désire jouir indépendamment de Dieu, il est mis en contact de Son énergie matérielle, il tombe alors sous l’influence de celle-ci et devient recouvert par l’illusion. Cette illusion (mâyâ) consiste à vouloir être soi-même réel bénéficiaire de ces actes ( voir actionintéressée) plutôt que le Seigneur.
eko ‘py asau racayituḿ jagad-anda-kotiḿ
yac-chaktir asti jagad-anda-cayā yad-antaḥ
andāntara-stha-paramānu-cayāntara-stham-
govindam ādi-purusaḿ tam ahaḿ bhajāmi
» J’adore Govinda, le Seigneur Originel, qui forme un Tout non différencié, puisque Ses énergies ne diffèrent pas de Sa Personne. En Lui les innombrables univers puisent leur existence, et leur création n’enlève rien à Sa puissance propre. Dans Sa plènitude, Il se trouve aussi présent au coeur de chacun des atomes épars dans l’Univers. » (Brahma-samhitâ 5.35)
(3) Pour plus d’informations sur le royaume spirituel on peut consulter le chapitre neuf « Les excellences de Krishna » d’ »Enseignements du Seigneur Chaitanya«
āvrtaḿ jñānam etena
jñānino nitya-vairinā
kāma-rūpena kaunteya
duspūreṇānalena ca
» Ainsi, ô fils de Kunti, la conscience pure de l’être est recouverte par son ennemi éternel, la concupiscence, insatiable et brûlante comme le feu. »
Bhagavad-gita 3.39
Catégories :L'extase de servir Krishna, La voie et la pratique du bhakti-yoga, Philosophie et transcendance