
Ceux qui pratiquent le service de dévotion sur les rives du Rādhā-kuṇḍa sont les plus fortunés de tous les êtres de l’Univers.
L’enseignement de Rūpa Gosvāmī
VERSET 10
tebhyo jñāna-vimukta-bhakti-paramāḥ premaika-niṣṭhās tataḥ
tebhyas tāḥ paśu-pāla-paṅkaja-dṛśas tābhyo ‘pi sā rādhikā
preṣṭhā tadvad iyaṁ tadīya-sarasī tāṁ nāśrayet kaḥ kṛtī
Les śāstras enseignent que d’entre tous ceux qui aspirent aux fruits de l’acte, est béni par le Seigneur celui qui possède un haut savoir des valeurs spirituelles de l’existence. Parmi tous ces jñānīs qui possèdent ce savoir supérieur, un d’entre eux, que la connaissance a pratiquement libéré, entamera la pratique du service de dévotion, s’élevant par là au-dessus des autres. Mais encore plus haut que lui est le bhakta qui a atteint le niveau du premā, du pur amour pour Kṛṣṇa, et plus haut encore que tous les bhaktas avancés sont les gopīs, qui sans cesse, tout entières, se mettent sous la dépendance du Jeune Pâtre Divin. D’entre les gopīs, Śrīmatī Rādhārāṇī est la plus chère à Kṛṣṇa, et aussi profondément cher qu’elle au Seigneur son kuṇḍa, l’étang de Rādhā. Qui donc refusera d’y vivre dans un corps spirituel, saturé d’émotions dévotionnelles extatiques [aprākṛta-bhāva], afin d’y servir avec amour Śrī Śrī Rādhā-Govinda, le Divin Couple, éternellement absorbé dans Ses huit Divertissements quotidiens [aṣṭakālīya-līlā]. A la vérité, ceux qui pratiquent le service de dévotion sur les rives du Rādhā-kuṇḍa sont les plus fortunés de tous les êtres de l’Univers.
A l’heure actuelle, la presque totalité des hommes se trouve engagée dans une forme ou une autre d‘action intéressée. Et on nomme karmīs, ou auteurs d’actes intéressés, ceux qui, par leur travail, espèrent réaliser divers gains d’ordre matériel, ceux qui agissent en vue des fruits de l’acte. C’est que, comme l’explique le Viṣṇu Purāṇa (6.7.61), tous les êtres en ce monde se trouvent sous l’emprise de māyā:
kṣetrajñākhyā tathā parā
avidyā-karma-saṁjñānyā
tṛtīyā śaktir iṣyate
Les sages ont divisé les énergies de Dieu, la Personne Suprême, en trois catégories —l’énergie spirituelle, l’énergie marginale et l’énergie matérielle. On classe généralement l’énergie matérielle au troisième rang (tṛtīyā śaktiḥ). Les êtres se trouvant sous son emprise agissent le plus souvent comme des chiens et des porcs; ils oeuvrent à perdre haleine dans le seul but de jouir de leurs sens. Il arrive cependant, parfois en cette vie même, ou dans la vie nouvelle obtenue après avoir accompli des actes de piété, que certains parmi ces karmīs développent un vif attrait pour l’accomplissement de divers sacrifices prescrits dans les Vedas. Ils peuvent alors atteindre, par la force de leur piété, les planètes édéniques. En vérité, ceux qui accomplissent ces sacrifices en observant rigoureusement toutes les prescriptions védiques atteignent la lune ou d’autres planètes, supérieures à elle. Mais, nous enseigne la Bhagavad-gītā (9.21), kṣīṇe puṇye martya-lokaṁ viśanti, quand s’épuisent les mérites qu’ils ont acquis par leurs prétendus actes de piété, ils reviennent sur la Terre, qu’on nomme aussi martya-loka, le royaume de la mort. Ainsi, même s’ils s’élèvent jusqu’aux planètes édéniques et y jouissent d’une existence heureuse pendant plusieurs milliers d’années, ils devront revenir sur Terre lorsque se seront épuisés les fruits de leurs actes vertueux. Telle est la destinée de tout karmī, vertueux ou impie.
Nous voyons sur notre planète nombre d’hommes d’affaires, de politiciens et autres dont l’unique intérêt s’attache au bonheur matériel. Ils cherchent à gagner de l’argent par tous les moyens, sans prendre en considération la nature vertueuse ou impie des voies qu’ils adoptent pour arriver à leurs fins. Tels sont les karmīs, les bas matérialistes. Parmi eux se trouvent des vikarmīs, qui agissent sans l’appui du savoir védique. Quant à ceux qui basent leurs actes sur le savoir védique, s’ils accomplissent des sacrifices pour la satisfaction de Śrī Viṣṇu, c’est qu’ils espèrent ainsi obtenir de Lui divers bienfaits. Ainsi gagnent-ils de s’élever jusqu’aux planètes supérieures. Ils dépassent les vikarmīs en ce qu’ils ont foi en les enseignements des Vedas, et pour cela deviennent chers à Kṛṣṇa. Kṛṣṇa proclame dans la Bhagavad-gītā (4.11): ye yathā māṁ prapadyante tāṁs tathaiva bhajāmy aham, «Selon qu’ils s’abandonnent à Moi, en proportion Je les récompense.» (B.g., IV.11) Kṛṣṇa est si bon qu’Il Se rend aux désirs de tous, karmīs ou jñānīs, pour ne rien dire des bhaktas. Mais les karmīs promus aux planètes supérieures devront, après la mort, revêtir de nouveaux corps matériels, et ce, aussi long- temps qu’ils demeureront attachés aux actes intéressés. Si les agissements d’un être sont empreints de piété, il pourra obtenir un corps de deva sur les planètes supérieures, ou atteindre une position lui permettant de jouir d’un plus grand bonheur matériel. A l’opposé, ceux qui s’adonnent à des actes impies se dégradent au point de renaître en des corps de bêtes, d’arbres ou de plantes. Négligeant les directives des Vedas, ces vikarmīs n’attirent évidemment pas sur eux l’estime des sages. Le Śrīmad-Bhāgavatam (5.5.4) enseigne:
yad indriya-prītaya āpṛṇoti
na sādhu manye yata ātmano ‘yam
asann api kleśada āsa dehaḥ
«Les matérialistes, peinant sans cesse comme les chiens et les porcs en vue de jouir de leurs sens, souffrent à vrai dire d’une totale insanité; pour ces plaisirs, ils passent toute leur vie à accomplir toutes sortes d’actes abominables. Or, les actes matériels ne sont pas dignes d’un homme intelligent, car ils conduisent l’être à revêtir un nouveau corps de matière, source intarissable de souffrances.» (S.B., 5.5.4)
Le but de la vie humaine consiste plutôt à s’affranchir des trois formes de souffrance, propres à l’existence matérielle. Par malheur, les karmīs sont rendus fous par le désir de s’enrichir et de se procurer des commodités matérielles, pourtant temporaires, par tous les moyens; ils courent ainsi le risque de choir parmi les espèces inférieures. Dans leur sottise, ces matérialistes échafaudent d’innombrables projets en vue d’atteindre au bonheur en ce monde. Pas un seul instant ils ne considèrent qu’ils ne vivront qu’un nombre restreint d’années, dont il consacrent la plupart à grossir leur fortune en vue d’accroître le plaisir des sens, s’engageant en un chemin qui les conduira à la mort. Et ils ne réalisent en rien qu’après avoir quitté leur corps, il devront peut-être en reprendre un autre, de bête, d’arbre ou de plante. Ils vont ainsi, par leurs actes, contre le but réel de l’existence. Non seulement ils naissent dans l’ignorance, mais ils agissent dans l’ignorance, croyant retirer de leurs actes divers bienfaits d’ordre matériel —palaces, grosses voitures, postes honorifiques, etc. Il leur échappe que leur prochaine vie les verra déchus, . tombés de leur position, et que tous leurs actes n’auront contribué qu’à leur perte (parābhava). Tel est le verdict du Śrīmad-Bhāgavatam (5.5.5): parābhavas tāvad abodha jātaḥ.
Il faut donc ardemment désirer comprendre la science de l’âme (ātma-tattva); car à moins d’atteindre à la connaissance de l’ātma-tattva au moins de réaliser que l’âme, et non le corps, constitue le moi véritable, on reste sur le plan de l’ignorance. Or, parmi des milliers, des millions même, d’ignorants qui perdent leur temps à satisfaire leurs sens, un seul, peut-être, atteindra au niveau du savoir et comprendra les valeurs supérieures de la vie. Celui-là, on le nomme jñānī. Le jñānī a conscience de ce que les actes intéressés ne peuvent que l’enchaîner à l’existence matérielle et le contraindre à transmigrer d’un corps à un autre, dans différentes espèces. Comme le souligne le Śrīmad-Bhāgavatam (qui le qualifie de śarīra-bandha, «enchaîné à l’existence corporelle»), tant que l’être entretient le moindre désir de satisfaire ses sens, son mental demeure axé sur le karma, sur l’action intéressée, qui l’oblige à transmigrer d’un corps à un autre.
Le jñānī, donc, se situe à un niveau plus élevé que le karmī, car il a au moins l’intelligence d’éviter les actes aveugles orientés par le seul plaisir des sens. Tel est le verdict du Seigneur Suprême. Cependant, bien qu’il soit affranchi de l’ignorance grossière du karmi, le jñānī demeure dans l’ignorance, l’avidyā, s’il ne s’élève pas au niveau du service de dévotion; car son savoir, bien que supérieur, est jugé impur par le fait qu’il ignore tout du service de dévotion, et néglige ainsi l’adoration directe des pieds pareilsau-lotus du Seigneur Suprême.
Quand un jñānī s’engage dans le service de dévotion, il a tôt fait de surpasser tous les autres jñānīs. On le désigne comme jñāna-vimukta-bhakti-parama, signifiant qu’il adopte cette voie après s’être pratiquement libéré par la vertu de son devoir. Kṛṣṇa, dans la Bhagavad-gītā (7.19), explique ainsi le processus par quoi le jñānī en vient à adopter le service de dévotion:
jñānavān māṁ prapadyate
vāsudevaḥ sarvam iti
sa mahātmā sudurlabhaḥ
«Après de nombreuses renaissances, lorsqu’il sait que Je suis tout ce qui est, la Cause de toutes les causes, l’homme au vrai savoir s’abandonne à Moi. Rare un tel mahātmā.» (B.g., VII.19)
On ne peut dire d’un homme qu’il est vraiment sage, ou connaissant, que lorsqu’il s’abandonne aux pieds pareils-au-lotus de Kṛṣṇa; mais un tel mahātmā est des plus rares. L’homme qui adopte la pratique réglée du service de dévotion peut accéder au niveau de l’amour spontané pour Dieu, marchant ainsi sur les traces de grands bhaktas, comme Nārada, Sanaka et Sanātana. Dieu Lui-même le tient alors pour un être supérieur.
Certes, les bhaktas qui ont développé leur amour pour Dieu se trouvent dans une position élevée, mais de tous les bhaktas, on tient les gopīs pour les plus élevées, car elles ont pour seule pensée de satisfaire Kṛṣṇa, sans jamais rien attendre en retour. Même lorsque Kṛṣṇa les soumet à d’extrêmes souffrances en les quittant, comme cela se produit parfois, elles ne peuvent L’oublier. Ainsi, lorsque Kṛṣṇa quitta Vṛndāvana pour Se rendre à Mathurā, les gopīs s’abîmèrent en un profond chagrin et pleurèrent Son absence le reste de leur vie. Il faut par là comprendre que d’une certaine manière, elles ne furent jamais vraiment séparées de Lui, car il n’existe à vrai dire nulle différence entre le fait de penser à Kṛṣṇa et d’être en Sa compagnie directe. Bien plus, le vipralambha-sevā (l’absorption en la pensée de Kṛṣṇa dans un sentiment de séparation tel que le pratique Śrī Caitanya Mahāprabhu) est de beaucoup supérieur même au service direct offert à Sa Personne. C’est pourquoi d’entre tous les bhaktas qui ont développé un amour dévotionnel sans mélange pour Kṛṣṇa, les gopis sont les plus élevées, et de toutes les gopis Śrīmatī Rādhārāṇī la plus importante. Nul ne peut surpasser sa perfection dévotionnelle. Pas même Kṛṣṇa ne peut percer ses sentiments sublimes; ainsi, afin de connaître son coeur. Il prit sa position et parut sous la forme de Śrī Chaitanya Mahāprabhu.
Śrīla Rūpa Gosvāmī en arrive ainsi, pas à pas, à la conclusion que Śrīmatī Rādhārāṇī est la plus élevée de tous les dévots de Kṛṣṇa, et que son étang, Śrī Rādhā-kuṇḍa, est le lieu le plus sublime. Certitude confirmée encore par une citation du Laghu-bhāgavatāmṛta (Uttara-khaṇḍa 45) que rapporte le Caitanya-caritāmṛta:
tasyāḥ kuṇḍaṁ priyaṁ tathā
sarva-gopīṣu saivaikā
viṣṇor atyanta-vallabhā
«Parmi toutes les gopīs, Śrīmatī Rādhārāṇī est la plus chère au Seigneur Suprême, Śrī Kṛṣṇa [Viṣṇu], et le lieu où elle se baigne [le Rādhā-kuṇḍa] jouit d’une égale importance aux yeux du Seigneur.»
Aussi, quiconque s’intéresse à la Conscience de Kṛṣṇa devra finir par prendre refuge auprès du Rādhā-kuṇḍa et y pratiquer le service de dévotion toute sa vie durant. Telle est la conclusion.
Catégories :La voie et la pratique du bhakti-yoga, Radha et Krishna
Merci beaucoup pour cet article très profond et malgré cela d’une grande clarté. Hare Krisna!
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Merci Laurence pour votre judicieuse remarque! C’est en effet une des qualités remarquables des livres de Srila Prabhupada, d’associer en même temps profondeur et clarté.
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Ses écrits sont une grande lumière pour moi. Hare Krishna!
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