Dans le Sri Chaitanya Charitamrta le processus de développement de l’amour de Dieu est énoncé par le Seigneur Chaitanya à Rupa Gosvami, son disciple. Dans son livre « L’Enseignement de Shri Chaitanya Mahaprabhu » Srila Prabhupada reprend le condensé de cet enseignement . Ce sont les extraits les plus importants de ces précieuses et inestimables instructions, conduisant jusqu’au but sublime de l’existence, le développement de l’amour de Dieu, que je vous propose de retrouver en trois parties dans retour à Krishna . Bonne lecture !
Jagadananda das
Deuxième Partie
D’autres facteurs peuvent également perturber la plante dévotionnelle, car les mauvaises herbes que représentent les désirs matériels accompagnent sa croissance. Lorsqu’une personne réalise un certain progrès dans le service de dévotion, plusieurs veulent naturellement en devenir les disciples tout en lui offrant certains avantages matériels. Celui qui se laisse captiver par l’attrait d’avoir de nombreux disciples et de profiter des commodités qu’ils peuvent lui procurer, au point d’en oublier son devoir de maître spirituel authentique, verra la croissance de sa plante dévotionnelle entravée. Le seul fait de jouir d’avantages matériels risque en effet de nous rendre esclaves du confort qui en découle.
La quête de la libération est également nuisible au service de dévotion, tout comme le fait de négliger les restrictions et interdits stipulés par les Écritures faisant autorité en la matière : éviter tout rapport sexuel illicite, toute substance enivrante, toute nourriture autre que celle qui a d’abord été offerte à Krishna (prasad) de même que tout jeu de hasard. Quiconque ne respecte pas rigoureusement ces principes s’expose à de sérieuses perturbations dans l’accomplissement du service de dévotion. Le fait même d’aspirer à la renommée matérielle est une autre source d’entrave à la pratique du service de dévotion.
Toute négligence à ces égards risque de favoriser la croissance de mauvaises herbes susceptibles d’entraver notre progrès sur la voie de la dévotion. Il s’agit simplement de comprendre qu’en arrosant un jardin, on accélère non seulement la croissance de la plante désirée, mais aussi celle d’indésirables, et le jardinier peut ne pas voir la menace que représentent ces dernières. Il est donc du devoir de l’aspirant au service de dévotion de les arracher. En d’autres mots, qu’on se garde contre toute plante indésirable, et celle de la dévotion poussera à merveille jusqu’à atteindre le but ultime – Goloka Vrindavana. Atteindre cette planète suprême, voilà le vrai fruit de la plante dévotionnelle. Quand l’être vivant engagé dans le service de dévotion savoure le fruit de l’amour de Dieu, il en oublie toute activité rituelle et toute forme de religiosité visant l’amélioration de sa situation financière. Il n’aspire alors ni à satisfaire ses sens ni à ne plus faire qu’un avec le Seigneur Suprême en se fondant dans Sa radiance. La science spirituelle et la félicité transcendantale comportent de nombreuses facettes, dont les rites sacrificiels préconisés par les Vedas, les austérités et les devoirs liés à la piété, sans oublier la pratique du yoga. Toutes ces activités engendrent différents résultats pour qui les pratique, résultats certes fascinants pour qui ne s’est pas encore élevé au niveau du service d’amour spirituel pour le Seigneur. Citons dans ce contexte l’analogie suivante : la victime d’une morsure de serpent demeure inconsciente tant qu’elle ne respire pas le remède prescrit, qui l’aidera à reprendre aussitôt conscience. Latent en chacun, l’amour pour Dieu peut être éveillé par l’accomplissement du pur service de dévotion. En quoi consiste ce service ? Quelles en sont les manifestations ? C’est précisément là ce que le Seigneur Chaitanya a ensuite expliqué à Rupa Gosvami.
La pure dévotion ne laisse aucune place aux désirs autres que celui de progresser dans la conscience de Krishna. La conscience de Krishna n’admet l’adoration d’aucun deva ni d’aucune autre forme de Krishna, non plus que la spéculation philosophique des empiristes ou l’action intéressée. Il convient de se défaire de toutes ces souillures. Le dévot ne doit accepter que ce qui est favorable à l’harmonie du corps et de l’âme, et il doit rejeter ce qui accroît les exigences du corps. Seuls les éléments essentiels à la survie du corps peuvent être acceptés. En faisant ainsi passer les besoins corporels au second plan, on peut se concentrer sur le développement de sa conscience de Krishna par le chant du Saint Nom de Dieu. Le pur service de dévotion consiste à absorber tous ses sens dans le service du Seigneur. Pour l’instant, ceux-ci sont tous en proie à diverses désignations du fait que notre corps l’est aussi. Ainsi croyons-nous appartenir à une famille, à une communauté ou à une nation donnée; tant de désignations se rattachent ainsi au corps. Dans le même ordre d’idées, si les sens – qui font partie du corps – s’emploient à servir famille, communauté ou nation, on ne peut cultiver la conscience de Krishna. Il s’agit donc de purifier les sens. Comprenant parfaitement qu’on appartient corps et âme à Krishna et reconnaissant son identité de serviteur éternel de Krishna, si l’on emploie ses sens à servir le Seigneur, alors seulement s’établit-on au niveau du pur service de dévotion.
Le pur dévot embrasse le service d’amour sublime du Seigneur, mais rejette toute forme de libération visant une quelconque jouissance personnelle. Dans le Shrimad-Bhagavatam (3.29.11-13), Kapiladeva explique la nature du pur service de dévotion : dès l’instant où le pur dévot entend parler des gloires et des attributs sublimes de Dieu, la Personne Suprême – sis dans le cœur de chacun -, son mental est entraîné vers Lui tout comme les eaux du Gange coulent vers l’océan. Un attrait spontané pour le service du Seigneur Suprême, voilà ce qui caractérise le pur service de dévotion, qui consiste à servir le Seigneur sans condition et sans entrave matérielles. Le pur dévot n’aspire ni à vivre sur la même planète que le Seigneur, ni à partager Son opulence, ni à revêtir une forme identique à la Sienne, ni à se trouver en Sa compagnie, ni à se fondre en Lui. Même si le Seigneur lui offrait de telles récompenses, il les refuserait. Il faut comprendre ici que le dévot est si absorbé dans le service d’amour spirituel du Seigneur qu’il n’a guère le loisir de songer à quelque autre bénéfice que le fait même de Le servir. De même que l’homme d’affaires matérialiste ne pense à rien d’autre lorsqu’il brasse des affaires, le pur dévot occupé à servir le Seigneur ne rêve de rien d’autre.
Il est entendu que toute personne ainsi absorbée dans le service du Seigneur a atteint le plus haut niveau de la dévotion. Seul ce service d’amour sublime permet d’échapper à l’influence de Maya et de savourer le pur amour de Dieu. Tant qu’on recherche la jouissance matérielle ou la libération, appelées les deux sorcières de l’envoûtement, on ne saurait apprécier la saveur du service d’amour et de dévotion spirituel offert au Seigneur.
Il y a trois niveaux de service de dévotion : celui de l’apprentissage initial, celui de la réalisation et celui du pur amour pour Dieu, l’ultime étape. Au stade de l’apprentissage, le néophyte dispose de neuf moyens différents pour cultiver le service de dévotion : l’écoute, le chant, le souvenir, etc. Qui s’engage avec foi et dévotion dans le chant et l’écoute voit toutes ses appréhensions matérielles s’évanouir peu à peu. Plus sa foi en le service de dévotion s’intensifie, plus il est assuré d’atteindre un niveau de perfection supérieur. Ainsi peut-il s’établir fermement dans la dévotion, accroître son attrait et son attachement pour celle-ci, et enfin ressentir l’extase, identifiée au premier stade de l’amour pour Dieu, qui survient après avoir assidûment cultivé le service de dévotion. Une fois ce stade atteint, la pratique continue du chant et de l’écoute permet peu à peu de raffermir sa dévotion jusqu’à ce qu’elle se transforme en véritable amour pour Dieu.
Au stade de l’amour pour Dieu apparaissent diverses manifestions transcendantales telles que l’affection, l’émotion, l’extase et un attachement d’une extrême intensité, plus spécifiquement appelées raga, anuraga, bhava et mahabhava. Le passage d’un niveau à un autre est comparable à l’épaississement graduel du jus de canne lorsqu’on le fait cuire. D’abord liquide, il devient de plus en plus dense sous l’effet de l’évaporation, jusqu’à se transformer en mélasse. Puis, il se cristallise, se change en sucre et, finalement, en sucre candi… De même, l’amour transcendantal pour Dieu, la Personne Suprême, se développe par étapes, de façon progressive.
Ce n’est que lorsqu’on s’établit vraiment au niveau absolu qu’on devient inébranlable dans l’amour de Dieu. Jusque là, il subsiste toujours un risque de rechute dans la matière. Le stade correspondant à cette constance imperturbable porte le nom de sthayi-bhava.
Au-delà se développent encore d’autres manifestations, qu’on nomme vibhava, anubhava, sattvika et vyabhichari. Quand ces quatre ingrédients viennent s’ajouter à la constance qui caractérise l’existence purement spirituelle, survient ce qu’il est convenu d’appeler un échange de rasa, de saveur transcendantale. Ainsi l’échange réciproque d’amour entre bien-aimés est-il généralement appelé Krishna-bhakti-rasa, soit la saveur transcendantale de l’échange de sentiments amoureux entre le dévot et l’Être Suprême, Dieu. Quoi qu’il en soit, n’oublions pas que l’atteinte de tels échanges exige qu’on s’établisse d’abord dans la constance, au stade du sthayi-bhava, tel que nous l’avons déjà expliqué. Le fondement même du vibhava est en effet le sthayi-bhava, les autres manifestations servant d’auxiliaires au développement de l’amour transcendantal.
L’ extase associée à l’amour transcendantal comporte deux volets : le contexte et la source d’exaltation. Le contexte se divise lui-même en deux éléments – le sujet et l’objet. L’échange de service dévotionnel représente le sujet, et Krishna en incarne l’objet. Quant à la source d’exaltation, elle tient aux attributs spirituels et absolus de Krishna, qui envoûtent le dévot et l’incitent à Le servir, Lui le Seigneur Suprême. Les philosophes mayavadis prétendent que la Vérité Absolue est dénuée de tout attribut spécifique (nirgouna), mais les philosophes vaishnaves précisent que la Vérité Absolue est nirguna en ce sens que Ses attributs n’ont rien de matériel. À vrai dire, les attributs spirituels du Seigneur sont si glorieux et enchanteurs qu’ils fascinent même les êtres libérés. C’est ce qu’explique le verset atmarama du Shrimad-Bhagavatam, où l’on peut lire que même les âmes déjà établies dans la réalisation du soi ressentent l’attrait des attributs sublimes de Krishna. Il faut en conclure que ceux-ci, loin d’être matériels, se révèlent de nature aussi pure que transcendantale.
L’ extase suprême est caractérisée par treize manifestations transcendantales : 1) danser, 2) se rouler par terre, 3) chanter, 4) battre des mains, 5) voir ses poils se dresser sur son corps, 6) tonner, 7) bâiller, 8) respirer lourdement, 9) oublier les conventions sociales, 10) saliver, 11) rire, 12) avoir mal à la tête, et 13) tousser. Ces symptômes n’apparaissent pas tous simultanément, mais se manifestent selon les échanges de saveurs spirituelles. Tantôt tel symptôme prédominera, tantôt tel autre.
Les saveurs spirituelles sont de cinq variétés. La phase initiale prend le nom de shanta-rati, lorsque l’âme libérée de la souillure matérielle apprécie la grandeur de Dieu, la Personne Suprême, mais ne s’engage pas vraiment dans Son service d’amour, car il s’agit là d’une phase de neutralité empreinte d’appréciation.
À la seconde phase, appelée dasya-rati, on apprécie sa position de subordination éternelle au Seigneur Suprême, réalisant qu’on dépend de toute éternité de Sa miséricorde immotivée. Dans un même temps, s’éveille une affection naturelle pareille à celle que ressent le fils qui, tout en grandissant, commence à apprécier les bénédictions de son père. Ici, l’être vivant désire servir le Seigneur Souverain au lieu de Maya, l’Illusion.
À la troisième phase de l’amour transcendantal, nommée sakhya-rati, on échange d’égal à égal avec l’Être Suprême, empreint d’amour et de respect. Progressant davantage à ce niveau, rires et plaisanteries fusent dans une atmosphère de détente. Il s’agit là d’échanges fraternels avec la Personne Divine, libres de tout asservissement. On en oublie presque sa position inférieure d’âme distincte, mais sans pour autant en éprouver le plus haut respect pour la Personne Suprême. La quatrième phase, dite vatsalya-rati, voit l’affection fraternelle manifestée au niveau précédent se développer en affection parentale. L’on voudrait alors jouer le rôle de parent auprès du Seigneur. Au lieu de L’adorer, l’âme distincte devient plutôt l’objet de l’adoration de l’Être Suprême, qui dépend alors entièrement de Son pur dévot et S’en remet à lui pour Son éducation. Le dévot accède alors au niveau où il peut enlacer le Seigneur et même couvrir Sa tête de baisers. Ainsi se manifeste l’affection parentale pour le Seigneur Suprême.
La cinquième phase, appelée madhurya-rati, permet un véritable échange transcendantal d’amour conjugal entre bien-aimés. C’est à ce niveau que Krishna et les jeunes filles de Vraja se contemplent dans un échange de regards affectueux, de mouvements de sourcils, de doux propos et de sourires charmeurs.
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