Le processus de développement de l’amour de Dieu (3/3)

sri-caitanyaDans le Sri Chaitanya Charitamrta le processus de développement de l’amour de Dieu est énoncé par le Seigneur Chaitanya  à Rupa Gosvami, son disciple. Dans son livre « L’Enseignement de Shri Chaitanya Mahaprabhu » Srila Prabhupada reprend le condensé de cet enseignement .  Ce sont les extraits  les plus importants de ces précieuses et inestimables instructions, conduisant jusqu’au but sublime de l’existence, le développement de l’amour de Dieu, que je vous propose de retrouver en trois parties dans retour à Krishna . Bonne lecture !

Jagadananda das

line11

Troisième Partie

Outre ces cinq principaux échanges de saveur, il en existe sept secondaires qui consistent en rires, en merveilleuses visions, en vaillance, en pitié, en colère, en horreur et en dévastation. À titre d’exemple, les échanges entre Bhishma et Krishna se situaient au niveau de la vaillance. Hiranyakashipu, lui, fit l’expérience du redoutable aspect dévastateur du Seigneur Suprême, sous le signe de l’horreur.

Les cinq principaux rasas habitent en permanence le cœur du pur dévot, tandis que les sept rasas secondaires sont intermittents et servent à rehausser la saveur des cinq premiers. Un exemple de shanta-bhaktas est celui des neuf yogis que sont Kavi, Havi, Antariksha, Prabuddha, Pippalayana, Avirhotra, Dravida – ou Drumila -, Chamasa et Karabhajana. Les quatre Kumaras, Sanaka, Sanandana, Sanat-koumara et Sanatane – tous de grands sages – appartiennent aussi à cette classe. Les dévots dont les noms suivent jouent le rôle de serviteur auprès de Krishna : à Gokula – Raktak, Citrak et Patrak; à Dvaraka – Daruka, et sur les planètes Vaikuntha, Hanumana, entre autres. Parmi les dévots associés aux échanges d’amitié avec le Seigneur, on compte Shridam à Vrindavana, ainsi que Bhima et Arjuna à Dvaraka ou sur le champ de bataille de Kurukshetra. Ceux qui vivent une relation d’amour parental avec Krishna incluent Sa mère, Son père, Son oncle et d’autres proches. Quant à ceux qui baignent dans l’amour conjugal, il y a tout d’abord les jeunes filles de Vraja, Vrindavana, sans oublier les reines et déesses de la fortune de Dvaraka, que nul ne saurait dénombrer.

L’attachement à Krishna peut également revêtir deux formes, la première étant empreinte de respect et de vénération. Cette forme d’attachement, que caractérise une certaine absence de liberté, se manifeste à Mathura et sur les planètes Vaikuntha. Dans ces lieux de résidence du Seigneur, les échanges d’amour spirituel se trouvent restreints, alors qu’à Gokula Vrindavana, ils ont libre cours. Même si les jeunes filles et pâtres de Vrindavana savent que Krishna est Dieu, la Personne Suprême, ils ne Lui témoignent guère de respect ou de vénération du fait de l’incommensurable intimité qui marque leurs rapports avec Lui. Dans le cadre des cinq principales relations spirituelles, respect et vénération voilent parfois la véritable grandeur du Seigneur, et entravent même parfois le service qui Lui est offert. Mais là où règnent l’amitié, l’affection parentale et l’amour conjugal, respect et vénération se trouvent minimisés. À titre d’exemple, lorsque Krishna est apparu comme le fils de Vasudeva et Devaki, Ses parents Le prièrent avec respect et vénération, sachant bien que le Seigneur Suprême – Krishna ou Vishnu – leur était apparu comme leur enfant chéri, ainsi que le confirme le Shrimad-Bhagavatam (10.44.51). Bien qu’apparu comme leur enfant, Devaki et Vasudeva Lui offrirent aussitôt des prières, sachant qu’Il était Dieu, la Personne Suprême. Et de même, quand Arjuna vit la forme universelle du Seigneur, la peur s’empara de lui, à tel point qu’il implora le pardon de Krishna pour s’être souvent comporté envers Lui de façon cavalière en qualité d’ami intime.

La Bhagavad-Gita (XI:41-42) rapporte d’ailleurs cette prière d’Arjuna :  » Cher Krishna, méconnaissant l’étendue de Ton inconcevable puissance, je T’ai parfois manqué de respect, et nommé  »ô mon ami ». Pardonne-moi, je T’en prie, de m’être, par déraison, adressé à Toi comme à un ami ou à un homme ordinaire. «  De même, lorsque Krishna plaisantait avec Rukmini, craignant qu’Il la quitte, celle-ci se trouva si perturbée qu’elle laissa tomber l’éventail avec lequel elle L’éventait et que sa chevelure se défit. À l’instar du plantain qu’aurait déraciné un coup de vent impétueux, elle tomba au sol presque évanouie. Quant à Yashoda, la mère de Krishna à Vrindavana, le Shrimad-Bhagavatam (10.8.45) affirme qu’elle croyait né de son sein le Seigneur qu’adorent toutes les Écritures authentiques – dont les Vedas et les Upanishads – et la philosophie du sankhya. Et encore que mère Yashoda attacha l’enfant Krishna à l’aide d’une corde, comme si c’était un fils ordinaire doté d’un corps matériel né du sien (S.B., 10.9.12). On trouve également d’autres passages où Krishna Se voit traité comme le commun des mortels, dont celui où il est dit qu’après avoir été vaincu au jeu par Ses amis les pâtres, Krishna portait Shridham sur Ses épaules (S.B., 10.18.24).

Abordant les rapports des gopis avec Shri Krishna à Vrindavana, le Bhagavatam (10.30.36-40) relate que lorsque Krishna quitta la danse rasa seul avec Shrimati Radhika, celle-ci crut qu’Il avait abandonné toutes les autres gopis. Bien que toutes d’égale beauté, Il La combla de cette manière, et Elle en conçut de vaines pensées :  » Mon cher Krishna a délaissé les belles gopis, satisfait qu’Il est de Moi seule.  » Dans la forêt, Elle Lui dit :  » Mon bien-aimé Krishna, Je suis incapable de faire un pas de plus; Tu peux Me porter où bon Te semblera.  » Et Krishna de répondre :  » Viens, repose-Toi sur Mon épaule « , pour ensuite disparaître sitôt ces paroles prononcées, plongeant ainsi Shrimati Radhika dans un océan de repentir.

Krishna ayant quitté la danse rasa, toutes les gopis se lamentent aussitôt :  » Cher Krishna, laissant maris, fils, proches, frères et amis, nous sommes venues en ces lieux ! Ignorant leurs conseils, nous sommes venues vers Toi, qui connais mieux que quiconque la raison de notre présence ici : les douces sonorités de Ta flûte nous envoûtent. Mais Tu es si rusé qu’au plus profond de la nuit, Tu abandonnes les jeunes filles et femmes que nous sommes, ce qui ne te sied guère ! «  Le mot sama désigne la maîtrise du mental en le fixant sur le Seigneur Suprême, pour l’empêcher de s’égarer de diverses façons. On dira alors du mental qu’il est établi au niveau du sama, où le dévot comprend que Krishna est le principe fondamental de tout ce dont nous avons conscience. C’est ce qu’explique la Bhagavad-Gita (VII:19) : après de nombreuses vies consacrées à cultiver le savoir, une personne s’en remet à Vasudeva, réalisant que Krishna est présent en toute chose et qu’Il pénètre l’entière manifestation cosmique. Quoique sous le contrôle du Seigneur Suprême et situé dans Son énergie, tout est néanmoins différent de Krishna en Sa Forme personnelle. Le Bhakti-rasamrita-sindhu reprend le propos en disant que le fait de fixer son intelligence sur Krishna relève du sama. Et le Seigneur Suprême dit Lui-même : samo man-nisthata buddheh – à moins de s’élever au niveau du shanta-rati, on ne peut saisir toute la grandeur de Krishna, non plus que la diffusion de Ses diverses énergies, causes de toutes les manifestations. Ce même point est traité plus en détail dans le Shrimad-Bhagavatam (11.19.36) : l’équilibre mental peut être acquis par qui en vient à conclure que Dieu, la Personne Suprême, est la source première de toutes choses. La maîtrise des sens est appelée sama. Quant à la tolérance, ou titiksha, il s’agit de l’attitude d’une personne prête à tolérer toutes sortes de tribulations pour acquérir la maîtrise des sens et l’équilibre mental. On nomme par ailleurs dhriti l’aptitude à résister aux impulsions de la langue et des organes génitaux. Une personne ainsi apaisée devient ce qu’on appelle un dhira.

Lorsqu’on réussit à fixer indéfectiblement son mental sur Krishna, on parvient à s’établir de façon constante dans la conscience de Krishna. C’est le shanta-rasa, où s’installe une foi inébranlable en Krishna et où prennent fin tous les désirs matériels, c’est-à-dire sans rapport avec Krishna. Cette double caractéristique du shanta-rasa se retrouve aussi dans les autres rasas, de la même façon que le son est généralement présent dans tous les autres éléments – air, feu, eau et terre – puisqu’il émane de l’éther. Toutes les relations spirituelles – que ce soit sous le signe du service (dasya), de la fraternité (sakhya), de l’affection parentale (vatsalya) ou de l’amour conjugal (madhurya) – possèdent ainsi cette double caractéristique du shanta-rasa : une foi inébranlable en Krishna et l’absence de désir pour tout ce qui n’est pas Krishna. Lorsqu’on dit  » ce qui n’est pas Krishna « , il ne faut pas en conclure qu’il puisse exister quoi que ce soit en dehors de Lui. Au contraire, puisque tout est produit de l’énergie de Krishna. Comme Krishna et Ses énergies s’avèrent identiques, tout est indirectement Krishna. À titre d’exemple, la conscience est le propre de tous les êtres vivants. Mais quand la conscience est totalement centrée sur Krishna – ce qu’on nomme conscience de Krishna -, on la dit pure. Lorsqu’elle est axée sur les plaisirs des sens et non sur Krishna, on peut la qualifier d' » inconscience de Krishna « . C’est de cette condition impure que naît le concept d' » absence de Krishna « . À l’état pur, cependant, n’existe que la conscience de Krishna. Un intérêt manifeste pour Krishna – à savoir que Krishna m’appartient, ou vice versa, et que ma raison d’être consiste à servir Ses sens – relève d’un niveau supérieur au shanta-rasa. Il suffit en effet de saisir la grandeur de Krishna pour accéder au shanta-rasa, où l’objet d’adoration est le Brahman impersonnel ou le Paramatma. C’est cette forme d’adoration que privilégient les adeptes de la spéculation empirique et du yoga des pouvoirs. Quiconque développe davantage sa conscience de Krishna, sa compréhension spirituelle, réalisera que le Paramatma – l’Âme Suprême – incarne l’éternel objet d’adoration et s’abandonnera à Lui. Bahunam janmanam ante : après de nombreuses renaissances vouées à l’adoration du Brahman et du Paramatma, la personne qui s’abandonne à Vasudeva Paramatma – voyant en Lui le Maître Suprême dont elle est l’éternel serviteur – devient une grande âme, une âme réalisée. La relation indéfectible qui l’unit alors à la Vérité Suprême et Absolue l’incite à amorcer son service d’amour à la Personne de Dieu. Ainsi la relation neutre qu’est le shanta-rasa se transforme-t-elle en attitude de service, ou dasya-rasa.

C’est au niveau du dasya-rasa que se manifeste le plus haut degré de respect et de vénération à l’égard du Seigneur Suprême, la grandeur de Dieu y est également appréciée. Notons ici que le shanta-rasa est dénué de toute activité liée au service, qu’on voit cependant naître dans le dasya-rasa, de sorte que celui-ci réunit deux composantes : le sentiment propre au shanta-rasa et l’esprit de fraternité spirituelle. L’existence des caractéristiques spirituelles du shanta-rasa et du dasya-rasa ne fait aucun doute, mais une troisième s’y ajoute par la suite : l’attachement intime qu’engendre l’amour purement spirituel. Cette intimité avec la Personne Suprême porte le nom de vishrambha, ou fraternité, et exclut tout sentiment de respect et de vénération envers Dieu, l’Être Suprême. Ainsi, la relation de fraternité spirituelle, appelée sakhya-rasa, réunit-elle trois composantes transcendantales : la notion de grandeur, la notion de parenté et la notion d’intimité libre de toute trace de respect ou vénération, de sorte que cette relation fraternelle est enrichie d’une caractéristique spirituelle supplémentaire.

De même, l’affection parentale comporte quatre caractéristiques. Aux trois caractéristiques déjà citées vient en effet s’ajouter la notion que le Seigneur dépend de la miséricorde du dévot. Jouant le rôle de parent auprès du Seigneur, le dévot châtiera parfois Celui-ci tout en se considérant comme Son soutien. Le sentiment sublime d’être le soutien du Soutien Suprême s’avère fort agréable pour le dévot comme pour le Seigneur Souverain.

Le Seigneur pria enfin Shrila Rupa Gosvami de rédiger le Bhakti-rasamrita-sindhu, un ouvrage spirituel sur la science du service de dévotion, et d’y révéler l’essence de ces cinq relations spirituelles. Il y est expliqué comment le shanta-rasa, prenant la forme d’une foi inébranlable en Krishna, se transforme en dasya-rasa, où prime l’attitude de service, puis en sakhya-rasa, empreint d’une fraternité inébranlable, et en affection parentale, où l’on se sent responsable du Seigneur, toutes ces relations transcendantales culminant dans l’amour conjugal, où elles existent simultanément.



Catégories :La voie et la pratique du bhakti-yoga

%d blogueurs aiment cette page :