Venez-vous de l’Inde?

La Naissance du Mouvement
  Hare Krishna 

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La lecture de cet article d’Hayagriva*,  paru dans le magazine « Back to Godhead » à la fin des années 6O, est un véritable plaisir. Il est aussi très précieux à plusieurs titres.  En premier lieu en tant que témoignage historique  car il restitue avec grand talent le climat d’euphorie qui régnait plus particulièrement dans ces débuts du Mouvement pour la Conscience de Krishna  en 1966 à New-York. On y voit la rencontre de Hayagriva et d’autres dévots avec Srila Prabhupada et il nous aide à mieux comprendre qu’elles étaient les circonstances exceptionnelles qui ont contribuées à la naissance du Mouvement Hare Krishna (L’ISKCON).

    Il est remarquable également d’un point de vue purement dévotionnel car il  permet de comprendre aussi que le processus du Bhakti-Yoga tel que présenté par Srila  A.C Bhaktivedanta Swami  Prabhupada,  – Maître spirituel du Mouvement International pour la Conscience de Krishna et descendant en ligne directe de Sri Chaitanya Mahaprabhu  –  repose avant tout sur la pratique du chant du mantra Hare Krishna et qu’à partir du goût et de l’extase que l’on développe dans la pratique du kirtana et du japa se ravive naturellement la Bhakti ou la dévotion au Seigneur Suprême Sri Krishna qui se trouve à l’état latent dans le coeur de chaque être vivant.

                 Jagadananda pour « Retour à Krishna »

 Hayagrîva dasa, mieux connu sous le nom d’Howard Wheeler, était professeur de philosophie orientale à l’Université de l’Ohio, et l’un des premiers membres de l’ISKCON (Le Mouvement Internationale pour le Conscience de Krishna). 

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  Hare Râma, Hare Râma, Râma Râma, Hare Hare, voix d’une fraîcheur inaltérable. Accompagnés de karatâlas (petites cymbales) et de mrdangas (tambours traditionnels de l’Inde), les chants prennent parfois une ampleur considérable, la danse s’éploie, ardente, et des gens d’un certain âge du seuil d’une porte, de derrière une fenêtre, regardent avec surprise ce qui, pour eux, dépasse tout entendement. Qui donc parmi eux pourrait savoir que le spectacle ainsi offert représente une méthode de réalisation spirituelle pratiquée sur notre planète depuis des millénaires?

En trois brèves années, le chant du mantra Hare Krishna s’est répandu dans tout l’Occident. Un moine indien de 79 ans, A.C Bhaktivedanta Swami Prabhupada, fut l’artisan de cette victoire spirituelle. C’est en 1965, sans argent et complètement étranger, qu’il débarque sur le sol d’Amérique, afin de répandre le message de la Bhagavad-gita. Et quiconque vient alors à rencontrer Srila Prabhupada, comme l’appellent ses disciples, ressent tout de suite une présence sincère, l’attrait d’une profonde personnalité.

C’est à New-York, en 1966, par un beau matin de juillet, que j’aperçus pour la première fois cet homme. J’habitais à l’époque un petit appartement de Mott Street, près de Houston et traversais la Bowery, jonchée de clochards et d’ivrognes: j’allais retrouver des amis à Tompkins Square.

 

tspharekrishnatree.jpg  Tompkins square à New York où les premiers kirtanas publiques ont eu lieu

Et c’est tout juste après avoir traversé la Bowery (juste avant la deuxième avenue) que j’aperçus Srila Prabhupada, le pas régulier, la tête haute, comme à son habitude: il semblait à des millions de kilomètres du monde qui s’agitait autour de lui. Quel était donc ce septuagénaire qui paraissait âgé de 50 ans et avait la démarche d’un homme de 30 ans? Il portait une robe de couleur safran, robe traditionnelle du sannyasi, du moine établi dans l’ordre du renoncement. Il portait aussi d’étranges chaussures blanches, pointues. On l’aurait cru sorti d’un conte lointain. Je venais de rentrer d’un voyage en Inde, et il me rappela les nombreux sages que j’avais vu, le long des chemins poussiéreux,  à  Rishikesh, à Hardwar, ou dans les eaux du Gange, pratiquant leurs ablutions. Mais Houston Street n’était pas le Gange….

Il me fallait à tout prix l’aborder; la question la plus sotte m’arrive à l’esprit: « Vous venez de l’Inde? » Lui s’arrête, tout naturellement, et me regarde avec douceur: « Oui, et vous? » J’ai cru qu’il me confondait avec un « sikh », à cause de ma barbe. Je lui expliquai mon voyage, mon retour depuis peu, et que je m’intéressais beaucoup à son pays, à la pensée indienne. Il ébaucha un gai sourire et me dit qu’il habitait New-York depuis près de dix mois. Bien qu’il fût âgé, ses yeux brillaient comme ceux d’un enfant; et moi, d’emblée, je fus conquis.

   Il semblait deviner mes questions et s’animait à l’évocation de mon voyage en Inde. Puis il me dit: « J’occupe un local, tout près d’ici; vous pourriez peut-être le visiter et me dire s’il est convenable, j’entends y donner des conférences. » Nous nous sommes alors dirigés vers la deuxième avenue, où il m’indiqua une petite boutique désaffectée entre la première et la deuxième rue, tout près d’un poste d’essence. Naguère une boutique de bric-à-brac, elle portait encore l’enseigne: m-giftv.jpg « Au cadeau sans pareil ». Je ne réalisais pas alors combien ces quelques mots allaient s’avérer prophétiques. « Croyez-vous qu’on puisse donner des conférences dans cet endroit? me demanda-t’il. – Ça ira sûrement. » Bien sûr, pensais-je, il n’attirera pas l’aristocratie New-yorkaise, mais les hippies de « East Village » certainement manifesteront quel qu’intérêt pour la spiritualité de l’Inde, ou quoi qu’il puisse leur offrir, et l’encourageront. J’ignorais tout de ses intentions, mais pour le rassurer, je lui affirmai que son local conviendrait parfaitement. Comme je gardais le souvenir de l’hospitalité que j’avais reçu en Inde, j’avais formé le désir de lui rendre en quelque sorte la pareille. Je le quittai après lui avoir promis que je viendrais à ses conférences, avec quelques amis. Elles se tiendraient, me dit-il, les lundis, mercredis et vendredis soirs, à 19h.

Je n’oublierai jamais la première soirée en compagnie de Srila Prabhupada. J’étais accompagné de quatre amis déjà intéressés par l’Inde. Et lorsque, ce soir de juillet, nous entonnâmes pour la première fois le chant du mantra Hare Krishna, le souvenir me vint tout de suite des cérémonies des moines à Hardwar. Jouant des karatâlas, nous répétions après Srila Prabhupada le chant composé de 16 mots: Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare /  Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare. Srila Prabhupada menait le kîrtana de sa petite estrade, marquant le rythme de ses karatâlas.

 « Tu verras bientôt Dieu danser sur tes lèvres! »

   « Il n’est pas vraiment nécessaire de comprendre les paroles du mantra, nous expliqua-t’il, chantez seulement et écoutez. » Il nous informa néanmoins que « Hare » formulait une invocation à l’Energie universelle, que « Râma » signifiait le Bénéficiaire suprême et que « Krishna » désignait l’Infiniment fascinant, c’est-à-dire la Vérité Absolue, Dieu, la Personne Suprême. Tel fut donc notre premier contact avec la « Conscience de Krishna », ou la « Conscience Divine ». Je crois qu’après cette première rencontre, mes amis avaient été plus impressionnés encore que moi: je craignais personnellement que son approche ne paraisse un peu trop ésotérique au public américain, mais après quelques semaines, je n’accordais plus guère d’importance au désir de séduire les masses. J’avais seulement pris conscience que s’offrait à moi une possibilité d’apprendre vraiment quelque chose. Je me souviens d’avoir soulevé la question de l’usage des hallucinogènes, que je croyais devoir faciliter la réalisation spirituelle. « Tu n’as pas besoin de prendre quoi que ce soit, me dit-il, tu n’as besoin de rien pour ta vie spirituelle. Ta vie est déjà « spiritualisée ».  Je savais qu’il avait raison. Il semblait lui-même baigner dans un état de perpétuelle conscience supérieure, précisément celui que beaucoup recherchent par les hallucinogènes. Et Srila Prabhupada promit de m’enseigner comment atteindre cet état. « Krishna est absolu, me dit-il. Krishna et Son Nom ne sont pas différents l’Un de l’Autre, Ils sont identiques. Tu ne pourras pas réaliser cela dès le début, mais plus tu chanteras ce mantra, et mieux tu comprendras. Tous peuvent clamer que Dieu est mort ou qu’ils sont eux-mêmes devenus Dieu, mais pour ta part, tu n’as qu’à réciter les Saints Noms et tu verras bientôt Dieu danser sur tes lèvres. »

    J’étais prêt à tenter l’expérience. Lorsqu’il parlait de Krishna, son autorité en la matière ne faisait aucun doute. Il semblait être le seul à comprendre réellement ce qui se passe dans l’univers. Il avait les Vedas et Sri Krishna pour l’appuyer: il en tirait une logique implacable. Mes amis et moi sommes retournés à maintes conférences, et nous avons fini par nous tirer du lit à 6h, tant bien que mal, pour assister à celles du matin.

Je désirais voir les jeunes gens que les journaux commençaient à peine à nommer « hippies » appuyer Srila Prabhupada, et sachant que le poète Allan Ginsberg ( sur la photo de gauche avec Srila Prabhupada) était à New-York, je l’invitai à se joindre à l’un de nos kîrtanas. Un soir, donc, Allan Ginsberg arriva en camionnette « Volkswagen »,  accompagné de Peter Orlovky. En guise de présent, il avait apporté un petit harmonium indien et se joignit de cette manière au chant des Saints Noms. Un jour, il vint même accompagné d’un célèbre groupe rock, les « Fugs ». Le journal hippie East Village Other publia en première page la photo de Srila Prabhupada, et le Times de New-York un article intitulé « Le Swami du New Lower East Side »; une citation de Ginsberg y proclamait que le chant du mantra Hare Krishna fournit « l’extase minute »! Les conférences de Srila Prabhupada prirent alors la forme d’un véritable mouvement. Celles du soir provoquaient une sorte de raz-de-marée dans la petite boutique. Les kîrtanas devenaient plus vivants, plus euphoriques, et l’on y vit peu à peu danser les participants. Les chants, le son des karatâlas, des mrdangas et de l’harmonium prirent tellement d’ampleur que bientôt les voisins se plaignirent. Les curieux se bousculaient devant la boutique. Certains se moquaient, d’autres invectivaient. On alla même jusqu’à lancer une pierre dans la vitrine et les voisins du premier nous jetèrent de l’eau bouillante par les fentes du plancher.

Srila Prabhupada possédait un dynamisme prodigieux. Chaque matin, il était le premier levé, avant nous tous. Il battait le mrdanga avec vigueur et nous épuisait au kîrtana. Il entonnait les hymnes sacrés, dansait , faisait des conférences, traduisait des ouvrages, cuisinait; bref, il dirigeait tout. Et nous étions tous bien trois fois plus jeunes que lui! Pour nous aider à répandre le Mouvement, Ginsberg suggéra que nous allions chanter au Tompkins Square Park, là où tous les hippies commençaient à se réunir.

image-25954.jpg Les premiers Kirtanas publiques au Tompkins Square Park en octobre 66

Pendant quatre dimanches consécutifs, les kîrtanas s’animèrent au coeur du parc. Srila Prabhupada scandait le rythme sur un bongo qu’on lui avait offert. Un dimanche, il le mania incessamment pendant deux heures consécutives et il s’en fallut de peu que les disciples ne défaillent.

D’abord la foule nous manifesta peu d’intérêt, puis l’ambiance devint graduellement plus chaleureuse, au point que les kîrtanas se transformèrent en marathons de trois heures. Des jeunes gens entraient dans la danse, nonobstant les figures désolées de quelques résidents Polonais ou Ukrainiens qui observaient un moment sans comprendre grand chose puis s’éloignaient en grommelant.

Un nombre incroyable d’hommes et de femmes passaient des heures debout sur le bitume pour se joindre aux chants. A chaque dimanche, le poète Ginsberg était de la fête. Je me souviens même qu’un jour, un reporter du Times de New-York m’avait demandé d’aller le chercher pour une entrevue. Ginsberg se perdait alors dans l’extase du chant des Saints Noms, mais j’osai quand même l’appeler. Jamais auparavant je ne l’avais vu importuné par rien; mais il répondit ce jour-là: « Va donc lui dire qu’il ne devrait pas interrompre un homme en plein acte d’adoration! » Et il se replongea dans le kîrtana.

Ce fut en janvier 1967 que notre temple s’ouvrit à San Francisco, sur Frederick Street, au coeur du quartier Haight-Ashbury. Ce fut ce même printemps, puis au début de l’été, que le mouvement hippie atteignit sa plus grande ampleur. Nous planions très haut avec les Saints Noms et des milliers de jeunes nous tendaient les bras. MantraRockDance.jpg Puis ce fut l’explosion, avec le colossal ballet mantra-rock de l’Avalon Ballroom (voir l’affiche de gauche qui annonça le concert). Srila Prabhupada et Ginsberg dansaient, les bras levés vers le ciel. Des jets de lumières multicolores inondaient les vastes murs, où se projetaient des diapositives de Krishna. Puis les groupes « Grateful Dead », « Moby Grape » et « Big Brother » prirent leur envol. Même Timothy Leary plaça une guirlande de fleurs autour du cou d’un des nôtres, saluant à l’orientale et répétant sans cesse:  » Une merveilleuse soirée, une merveilleuse soirée… »

 Cinq mille hippies, bougalous et Hell’s Angels se levèrent de leur siège en signe de respect lorsque Srila Prabhupada fit son entrée, et tous l’écoutèrent avec attention. Après le chant, quelqu’un dans la salle posa une question à propos de la mort. Je me souviens nettement de la réponse de Srila Prabhupada: « Il n’y a pas vraiment dans la mort de quoi retenir notre attention: la mort est certes présente, mais c’est plutôt de la vie qu’on doit s’émerveiller, et voilà la vraie vie. »

Peu après, au « Frederick Street Center », Srila Prabhupada expliqua à son auditoire que la « vraie vie », à quoi l’homme est destiné, consiste en la glorification de son Créateur à travers les chants, la danse, l’étude des Ecritures, la méditation et le renoncement. Plusieurs éprouvaient des difficultés dans la pratique de cette discipline, mais ils furent encouragés par Sri Krishna qui affirme dans la Bhagavad-gita: (18-37) « Le bonheur qui d’abord peut sembler comme un poison, mais à la fin s’avère comparable au nectar, et qui éveille à la réalisation spirituelle, ce bonheur, on le dit procéder de la Vertu. » Mais nombreux sont ceux qui goûtèrent ce nectar dès le début. Nous allions chanter tous les dimanches au Golden Gate Park et c’est par centaines que l’on se joignait  à nous pour danser en une vaste ronde. A tout moment de la journée, il suffisait que je déambule sur Haight, jouant des karatâlas et chantant Hare Krishna, pour une douzaine de jeunes enthousiastes se fondent dans le chant. Tous apprécièrent également notre projet de distribution de nourriture consacrée, le prasâda. Tous les jours, des dizaines de personnnes venaient partager notre repas. Le temple Radha-Krishna exerça une influence considérable dans la vie quotidienne du quartier Haight-Ashbury.

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Le Mouvement pour la Conscience de Krishna a réellement fait irruption dans la vie publique peu après l’ouverture du Temple de « Frisco » (à gauche Prabhupada avec les premiers disciples de San Francisco). On entendait le chant des Saints Noms à des manifestations de tout genre, aux « sit-ins », démonstrations, « be-ins », etc…Srila Prabhupada sillonnait sans cesse le ciel de la côte Ouest à New-York. Quelques uns de ses disciples ouvrirent des temples en d’autres endroits: Montréal, Boston, Santa Fe, Los Angeles, Buffalo, Seattle, Clombus, Vancouver et à Hawaï, puis en Europe, à Londres, Paris et Hambourg.

Celui qui n’a jamais entendu parler de Krishna, ni de le Bhagavad-gita, ni d’A.C Bhaktivedanta Swami Prabhupada, celui qui toujours à confondu svamis et voyants-aux-boules-de-cristal, pourra certes se demander ce qui pousse tant de jeunes occidentaux à rejoindre ce Mouvement dont les bases reposent sur la spiritualité. La réponse est pourtant simple bien que peu de gens puissent la concevoir. Selon un verset indien: « Par la grâce de Krishna, on obtient un guru; et  par la grâce de guru, on obtient Krishna. » Krishna est l’Infiniment Fascinant. En tant qu’Etre Suprême, la beauté, la fortune, la renommée, la puissance, la sagesse et le renoncement absolus émanent tous de Lui. Et Srila Prabhupada peu rendre Krishna à ses disciples, car il en a reçu la puissance spirituelle de Krishna Lui-même.

Lorsque ses disciples chantent Hare Krishna, ils goûtent l’extase ultime, ils font l’expérience de la conscience de Krishna. Nombreux sont les pseudo-svamis venus en occident avec leur cargaison de phrases vides. Ils recherchent la compagnie de dames riches, dont ils reçoivent de l’argent pour rémunération de leurs « grâces », ou pour avoir accordé « l’initiation ». Srila Prabhupada, au contraire, distribue librement la Conscience de Krishna. « Comment savez-vous qu’il n’est pas un faux guru comme les autres? » me demandait une jeune fille de l’Ohio. – Et toi, comment sais-tu si un fil est chargé d’électricité? – Je ne sais pas, me lança-t’elle, je ne suis pas électricien. – Pas besoin ! lui fis-je alors remarquer. Tu n’as qu’à toucher le fil et tu sentiras le courant. Le véritable guru est un intermédiaire, un bon conducteur de l’énergie spirituelle. Tu n’as qu’à établir un contact avec lui et tu sentiras le courant circuler en toi. »

Elle garda un silence dubitatif, mais je la vis, plus tard, qui chantait, les yeux clos: elle avait « senti le courant ». Srila Prabhupada répète sans cesse: « Vous n’avez qu’à faire vibrer le mantra Hare Krishna une seule fois pour que débute votre vie spirituelle. Vous n’avez rien à perdre mais au contraire tant à gagner. Alors pourquoi ne pas essayer? » Qui voudrait douter de sa parole?



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