Un saint de l’Inde en Amérique n°1/3

Srila Prabhupâda en 1965 à New York 

Première Partie

Ce que vous allez lire est une entrevue entre le professeur Thomas J. Hopkins et Subhânanda dâs [ Steven J. Gelberg ],ancien directeur des Affaires interreligieuses du Mouvement  Hare Krishna. Le professeur Thomas J.Hopkins est une autorité reconnue en matière d’hindouisme, et aussi l’auteur de « The Hindu Religious Tradition », texte à l’étude dans la plupart des collèges et universités du monde. Son intérêt marqué pour l’hindouisme dévotionnel (bhakti) est à l’origine de son premier contact, en 1967, avec le Mouvement pour la Conscience de Krishna, qui n’existait alors que depuis peu, et son fondateur: Sa Divine Grâce Srila A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupâda. Le docteur Hopkins fut ainsi le premier à étudier d’un oeil académique le Mouvement Hare Krishna. Cette entrevue révèle la grandeur de Srîla Prabhupâda en tant qu’érudit, saint homme et maître spirituel.  [ Traduction de  Priya Bhakta dasa]  .                                      

Subhânanda: Pourriez vous nous parler de l’importance historique que revêt l’introduction en Occident du message de la Conscience de Krishna par Srîla Prabhupâda?

Dr. Hopkins: Srîla Prabhupâda est l’héritier de la tradition Chaitanyenne revitallisée par Bhaktivinoda Thâkura et Bhaktisiddhânta Sarasvati. Retournons en arrière et jetons un coup d’oeil rapide sur sa vie en Inde, avant son départ pour les Etats-Unis.

Né à Calcutta en 1896, il reçoit une éducation anglaise au Scottish Churches College de sa ville natale. Une fois terminées ses études supérieures, il s’établit pharmacien à Allahabad. Ayant reçu l’initiation spirituelle de Srîla Bhaktisiddhânta, ll se voue toujours plus à la mission religieuse que lui a confiée son précepteur: prêcher le message de Sri Chaitanya aux peuples anglophones.

En 1944, il fonde dans ce but la revue « Back to Godhead » et réalise une série d’exposés en anglais sur les Ecritures. Il caresse toutefois un profet à long terme: traduire et commenter le Bhâgavat Purâna (Srîmad Bhâgavatam). Il s’y consacre dès qu’il adopte le sannyasa, l’ordre du renoncemment, en 1959. Dès 1965, il termine le premier Chant du Bhâgavatam, qu’il publie en 3 volumes. C’est alors qu’armé d’un message et d’une mission, il part pour New York pour apporter la Conscience de Krishna à l’Occident.

  L’histoire du succès de Srîla Prabhupâda est sans précédent, c’est le moins qu’on puisse dire. Il arrive en Amérique agé de 70 ans. C’est la première fois qu’il quitte l’Inde; il est sans argent ni revenu. mais il apporte avec lui toute la richesse spirituelle de la tradition Gaudiya Vaishnava, revitalisée et imprégnée par Srîla Bhaktivinoda et Srîla Bhaktisiddhânta d’un esprit d’universalité et d’actualité. Or, il faut admettre que de pouvoir hériter et transmettre cette tradition n’est sûrement pas à la portée de tous. D’autres disciples de Bhaktisiddhânta ont bien naguère tenté, sans succès, de faire connaître le message dévotionnel de Chaitanya  en Occident.

D’ailleurs, lorsque Srîla Bhaktisiddhânta quitte ce monde, l’institution qu’il fonda: la Gaudîya Math, est déchirée par des luttes internes et autres crises. Srîla Prabhupâda, de toute évidence, est un être très unique, un chef spirituel d’une puissance rare. Son succès à  acheminer ce message en Occident et à le faire fructifier sans jamais compromettre sa pureté traditionnelle ne peut être compris qu’en vertu de sa sainteté, sa force spirituelle incomparable et sa détermination à toute épreuve.

C’est une histoire inconcevable. Si on vous la racontait, vous n’y croiriez pas. Voici un homme de 70 ans qui arrive sans un sou vaillant, dans un pays étranger où il n’a ni ami ni relation, ni aucun des éléments contribuant selon nous au succès. Et il prétend recruter des gens mais n’a aucun plan d’action pour ce faire. Il va tout simplement essayer de sensibiliser à son message ceux qu’il rencontre ici et là, pour les investir ensuite de responsabilités dans l’organisation d’un movement international. N’importe qui s’exclamerait: « Il n’ira jamais nulle part avec un tel programme! »

Il y a peut-être, bien sûr, des précédents dans l’histoire. Jésus de Nazareth lui aussi recrute ses disciples au hasard: « Suivez-moi, laissez là vos filets et devenez mes disciples. » Mais Jésus n’est pas un homme âgé en terre étrangère, entouré de gens dont la culture différerait totalement de la sienne. Au contraire, il s’adresse aux membres de sa propre communauté. L’exploit de Srîla Prabhupâda doit donc être tenu pour unique.

 

Sa dévotion personnelle est non seulement imposante mais irrésistible, comme le démontre l’attrait qu’il exerce sur un si grand nombre de jeunes Occidentaux. Ce qui incite au début les gens à chanter le mantra Hare Krishna, c’est d’être en sa présence, bouleversé au point de penser:  » Je veux faire partie de son entourage et lui ressembler. » Et son approche consiste à les prendre en charge et à leur enseigner cet art.

Je ne crois pas qu’aucune tradition dévotionnelle ait jamais connu de vrai succès sans offrir un modèle de dévotion et de sainteté en la personne d’un dévot exemplaire. Le rôle du saint homme est intimement lié à la tradition dévotionnelle. il s’avère absolument impossible de communiquer le caractère de la dévotion sans exemple vivant. La dévotion spontanée n »est pas un art intellectuel qui se transmet en énonçant une série de principes abstraits: « Faire preuve de dévotion, c’est agir de telle ou telle façon. D’abord, faites ceci, puis cela. »

Evidement, la dévotion ne surgit pas du néant. Elle constitue bel et bien une voie où le dévot adopte diverses règles et disciplines religieuses qui raniment progressivement la dévotion inhérente à l’âme, au coeur. Mais il s’avère difficile d’adhérer à ces disciplines ou d’en connaître l’art en l’absence d’un dévot dont on pourra suivre l’exemple. La tradition dévotionnelle insiste sans cesse sur ce point:  la compagnie des âmes saintes inspire la sainteté; le contact du dévot éveille la dévotion. La compagnie des dévots authentiques peut exercer une forte influence sur la conscience de l’individu.

harmonium.jpg Je me souviens clairement de la valeur de Srîla Prabhupâda. Il n’a pas la voix d’une grande vedette de la chanson, mais celle d’un homme de 70 ans. Pourtant, lorsqu’il chante, toute l’entreprise revêt un caractère différent. Et il fait en sorte que l’expérience prenne forme pour autrui. Si le chant devient routinier ou s’il vient à perdre son inspiration, il en change soit le rythme soit le registre, ou encore il introduit quelque nouvel élément dans le Kîrtana (chant à la glorification de Dieu) afin que chacun se concentre à nouveau sur ce qu’il fait.

On peut ainsi le voir façonner très consciencieusement et avec beaucoup de patience leurs activités dévotionnelles et leur connaissance d’eux-mêmes, les élevant jusqu’au niveau voulu. Il les guide non pas en disant:  » Vous faites erreur » ou « Ce n’est pas ainsi qu’on fait en Inde »; mais plutôt en leur offrant, quand ils sont prêts de nouveaux exemples, de nouvelles réalisations, afin qu’ils aient toujours un niveau supérieur à atteindre. Nul n’espère vraiment accéder à la même perfection que lui; d’autre part, il fait en sorte que le but qu’il leur indique ne leur semble jamais inaccessible. Il est maître dans l’art d’établir de tels contacts.

Srîla Prabhupâda compte sans doute parmi ceux qui savent guider et discipliner. Il ne craint pas d’établir des standards. Quant à l’efficacité de ses rapports avec les jeunes partisans de la contre-culture, dès le tout début il m’est évident qu’il leur offre cette orientation qu’ils n’ont jamais reçue de quiconque auparavant. Leurs parents et  autres figures d’autorité leur disaient simplement : « Agis comme bon te semble. C’est ta vie; fais-en ce que tu veux.« . On ne peut rien bâtir là-dessus. L’approche qu’utilise Prabhupâda est tout autre. Celui qui désire vivre comme il l’entend est libre de le faire, mais pas sous mon toit, ni dans le temple ou parmi ses disciples assemblés ! Certains standards doivent être maintenus dans le temple où l’on découvre un sage, compatissant et compréhensif, qui connaît son affaire. Sa position sur diverses questions ne laisse jamais subsister le moindre doute. Jamais il ne cherche à amadouer ou n’atténue ses convictions pour qu’on accepte ou qu’on se soumette à lui.

SUITE….



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